05/03/2022 par Amel Aït-Hamouda

C’est dans ces faubourgs millénaires que l’Observatoire Patrimoine d’Orient vous emmène à la découverte d’un modèle urbain, inscrit au patrimoine mondial de l’humanité en 1982, qui a inspiré les villes modernes.  

Sur la pente des avant-monts du massif aride des Aurès, à plus de 400 km au sud-est d’Alger et au Nord-Est de l’Algérie, subsistent d’exceptionnels vestiges appelés Colonia Marciana Traiana Thamugadi ou, plus communément, Timgad. 

Tronçon de la voie romaine de Lambèse à Tébessa, l’ancienne Thamugadi reflète l’éclat d’un creuset de plus de 20 000 ans d’histoire. 

Après des siècles d’oubli, ce n’est qu’en 1881 que les ruines antiques émergent, si bien que le site prit le surnom de « Pompéi de l’Afrique du Nord ».  

C’est dans ces faubourgs millénaires que l’Observatoire Patrimoine d’Orient vous emmène à la découverte d’un modèle urbain, inscrit au patrimoine mondial de l’humanité en 1982, qui a inspiré les villes modernes.  

Timgad : ville de garnison romaine en Numidie 

À travers la forme carrée de son enceinte ainsi que son plan orthogonal orchestré par le cardo et le decumanus[1]Timgad incarne l’apogée de l’urbanisation de la colonie romaine en Afrique du Nord. Fondée en l’an 100 de notre ère par l’empereur romain Trajan (53-117), la cité se destine d’abord à servir de campement à la IIIème Légion.  

Timgad portait prioritairement le nom de Marciana Ulpia Traiana Thamugadi. Latine, « Marciana Ulpia Traiana » se veut être l’hommage rendu par Trajan à sa sœur aînée. Amazighe, « Thamugadi »[2] tire son étymologie du lieu même où fut bâti la ville pour y signifier « sommet ».

Germée, au préalable, sur une surface de 12 hectares, la cité antique fleurit et surpasse son quadrilatéral initial pour aboutir à plus de 90 hectares de superficie. Au fil du temps, Timgad prospère dans la culture et la production de l’huile d’olive mais surtout dans la viticulture.

Timgad à travers ses conquêtes 

Romains, Vandales, Maures et Byzantins, tous ont élu, de gré ou de force, domicile à Timgad. 

Éclos en un bastion romain, Thamugadi sera peuplé par d’anciens combattants[3]. La ville se romanise au fur et à mesure jusqu’à atteindre son apogée lors du règne des Sévères (193-235).

Puis, la cité évolue en diocèse et s’illustre principalement à la fin du IVe siècle lorsque Mgr Optat (341-397) est nommé porte-parole du mouvement donatiste. 

Après le déclin de l’Empire romain d’Occident au Ve siècle, le Royaume vandale s’installe sur le territoire nord-africain.En 442, les empereurs Théodose II (401-450) et Valentinien III (419-455) signent un nouveau traité privilégiant les tribus germaniques orientales. Genséric[4] (389-477) reçoit ainsi la partie la plus riche des Aurès.  

Après la mort du roi, l’économie de la cité se fragilise sensiblement. Profitant de cette situation précaire, les Maures renversent les Vandales et érigeront, par la suite, de petits royaumes autour de Timgad.  

En 533, l’ère byzantine s’établit en Afrique romaine. La cité se redynamise et se repeuple en tant que région chrétienne. Contrairement aux Vandales qui ont saccagé les lieux, les Byzantins bâtiront un puissant fort à partir des blocs retirés de monuments romains dans le but de consolider la cité contre une éventuelle attaque des Maures. 

À la fin de la conquête byzantine, Timgad dépérit. Le sable du Sahara l’engloutira et son absence se fera sentir jusqu’au XIXe siècle. 

Vue d’ensemble sur les vestiges de cité de Thamugadi (©Wikipédia)

Emergence de Timgad

Le 12 décembre 1765, lors d’un voyage à travers l’Afrique, le diplomate et explorateur britannique James Bruce (1730-1794) découvre Thamugadi.

Cinq ans plus tard, il mettra sur papier ses aventures africaines dans L’Égypte et la mer Rouge : voyage aux sources du Nil, dans lequel il présentera Timgad comme étant « une petite ville pleine de bâtiments élégants ».

En 1875, Robert Lambert Playfair (1828-1899), alors Consul britannique en Algérie, visite la région et dira dans son livre Travels in the Footsteps of Bruce in Algeria and Tunis (« Voyages sur les traces de Bruce en Algérie et à Tunis ») que : « ces collines sont couvertes par un nombre incommensurable des vestiges mégalithiques les plus intéressants ». 

Après cela, les colons français prennent le contrôle du site et, en 1881, entament des fouilles archéologiques. Dès lors, Timgad ne cessera de dévoiler ses mystères aux archéologues. 

Beauté et trésors des monuments de Timgad 

Des chefs d’œuvre architecturaux à la beauté époustouflante reflètent l’incroyable cité que fut Timgad. Colonie romaine par excellence, Timgad se dote de tous les éléments constituant l’empreinte culturelle romaine.  À l’instar du Capitole, de nombreuses institutions publiques sont construites dans les quartiers neufs de la cité pour mieux suivre le système romain.

L’entrée du forum 
©Yellès Arif

Le forum 

Situé au cœur du quadrilatère de Timgad marqué par l’intersection des deux voies principales, le cardo et le decumanus, le forum se construit au commencement de la cité. 

Avec son plan rectangulaire et bordé de quatre portiques décorés de plus de trente statues, l’espace fonde le cœur politique et social de la cité. Les habitants se réunissaient pour traiter d’affaires commerciales, politiques, économiques, judiciaires ou encore religieuses.

Venari, lavari, ludere, ridere, ho est vivere («Chasser, prendre des bains, jouer, rire : ça c’est vivre ! »), ce célèbre graffiti taillé dans un coin du forum démontre le quotidien confortable de ses citoyens. 

Le théâtre de Timgad (©Wikipédia)

Le théâtre 

Construit vers le milieu du IIème siècle de notre ère, le théâtre se situe au sud du forum. 

Précédé de petites colonnes, le mur – séparant la scène de l’orchestre – est constitué de plusieurs niches abritant de sublimes fontaines. Ses gradins avaient la capacité d’accueillir environ 3 500 personnes. Son remarquable système acoustique continue d’émerveiller le visiteur. Ce principal édifice de spectacle de Timgad est orné par la statue de Mercure (dieu du Commerce et messagers des dieux) élevée pour le salut des empereurs Septime Sévère (193-211) et Caracalla (188-217).

Le Capitole de Timgad avec ses deux imposants piliers
©Yellès Arif

Le Capitole

Etant donné que le plan du forum initial ne fut jamais achevé, son Capitole n’a pas pu être intégré et ne sera finalisé qu’en 364. 

Chaque année, des cérémonies en l’honneur de la triade – Jupiter (dieu de la Foudre, du Tonnerre, de la Lumière et du Ciel et défenseur de la justice), Junon (reine du Ciel et protectrice des femmes) et Minerve (déesse de la Sagesse, des Arts et des Techniques de la guerre et protectrice de Rome) – furent organisées par le Grand Pontife. L’œuvre sera restaurée sous le règne commun de Valentinien Ier (321-375) et de Valens (328-378), non comme un centre religieux consacré à la célébration de la triade, mais plutôt comme un « monument public appartenant au patrimoine monumental de la cité, sans référence à la fonction religieuse. » 

La bibliothèque publique de Timgad
©Yellès Arif

La bibliothèque publique

Identifiée en 1906 grâce à la découverte d’une inscription latine, la bibliothèque publique aurait été construite vers le IIIe siècle[5] grâce à la volonté du sénateur Marcus Iulius Quintianus Flavius Rogatianus qui, selon la légende, aurait légué par testament 400 000 sesterces.

L’œuvre architecturale occupait un rectangle de 81 pieds (équivalent de 24,69 mètres) de long sur 77 pieds (équivalent de 23,47 mètres) de large.

Située au centre de la ville, la bibliothèque était organisée autour d’un portique à trois côtés pour aménager trois salles : de lecture, de stockage de livres et de conférences.

Face à la rue, une grande salle semi-circulaire en abside était également destinée à entreposer des ouvrages. On raconte qu’à elle seule, la salle accueillait seize armaria (« armoire de bibliothèque »)[6]

Vestige de l’arc de Triomphe dit l’arc de Trajan 
© Jokari – Fotolia.com

L’arc de Triomphe

L’arc de Triomphe (dit l’arc de Trajan) est bâti au milieu du IIe siècle sous l’empereur Marc-Aurèle (121-180). 

Situé à l’ouest du decumanus maximus pour mener à Lambèse – quartier général de la IIIe légion romaine – l’arc de Triomphe avait, comme fonction principale, la protection de l’entrée de la voie romaine. Sa baie centrale ainsi que ses baies latérales furent réservées respectivement aux passages de véhicules et de piétons.

Sous le règne de Septime Sévère (193-211), la statue de Mars (dieu des Combats et de la protection du Sol) ainsi que celle de Concorde (déesse de la Paix et de l’Harmonie) furent érigées devant l’arc.

La maison de Sertius 

Traversée par le cardo, une maison luxueuse se distingue parmi toutes les autres bâtisses. 

Des fouilles archéologiques indiquent que la demeure, d’une surface de 2 263 m2, appartenait à Plotius Faustus Sertius[7]. Chez ce riche homme d’affaire, on trouvait des vases fixés horizontalement tels des aquariums pour poissons. Produits précieux, Sertius aimait exposer, de cette manière, son opulence. 

Outre la grandeur de la cour intérieure entourée par de nombreuse salles et décorées de mosaïque, la villa recelait une multitude de thermes privés avec un frigidarium ; de plus de quatre salles chauffées parées par la statue d’Esculape (dieu de la Médecine) en compagnie de sa fille Hygie (déesse de la Santé et de la Propreté). 

Exemple unique de l’aboutissement d’une colonie militaire romaine créée ex nihilo, la « Pompéi de l’Afrique du Nord » promet à ses hôtes de découvrir en Algérie une cité antique riche de 2000 ans d’histoire.  

Cependant, Timgad mérite d’être préservé et restauré davantage afin d’offrir aux générations futures une mémoire méditerranéenne commune. 


[1] Les deux voies perpendiculaires qui traversaient les villes romaines.

[2] Timgad, n’est autre que le pluriel de Tamgut.

[3] La citoyenneté était alors accordée à tout homme ayant accompli ses vingt-cinq ans de service militaire ainsi qu’à son fils. 

[4] Roi et fondateur du Royaume vandale en l’an 429

[5] Cependant, pour l’archéologue français Paul Corbier, sa datation ne reste qu’une hypothèse.

[6] Équivalent à 7 000 volumes

[7] Appartenant au rang des équestres, Plotius Faustus Sertius était considéré comme l’un des hommes les plus riches de Timgad. 


POUR ALLER PLUS LOIN

Albert Ballu, Timgad : une cité africaine sous l’Empire romain : Introduction, Paris, E Leroux, 1905.

Serge Lancel, L’Algérie antique, Paris, Sommières, 2008.

Crédit photo de couverture : ©George Steinmetz

Marwa

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