09/05/2023 par Amel Aït-Hamouda

« Figure-toi une délicieuse décoration d’Opéra, tout de marbre blanc et de peintures de couleurs les plus vives, d’un goût charmant, des eaux coulant de fontaines ombragées d’orangers, de myrtes, etc., enfin un rêve des Mille et Une Nuits. »

se récria le peintre Horace Vernet dans sa correspondance après avoir visité le palais d’Ahmed bey, en 1837.

Cette fois, l’Observatoire Patrimoine d’Orient vous emmène à l’est algérien, au cœur de la ville de Constantine pour la découverte de l’un des vestiges les mieux conservés de l’architecture de la régence ottomane en Afrique du Nord.  

Et c’est à quelques pas de la médina de Constantine, dans l’actuelle place de Si El-Houes que jaillit ce majestueux édifice connu sous le nom du palais d’Ahmed bey. Véritable chef-d’œuvre architectural, le logis du Bey corrobore l’aboutissement savant des palais arabo-ottomans. 

  Plan du palais d’Ahmed bey 
  Tiré du livre Constantine: une ville, des héritages

Un palais constantinois au charme oriental 

En 1826, Ahmed Ben Mohamed Chérif (1786-1851) est nommé à la tête du beylicat de l’Est[1] par le dey Hussein d’Alger. Dès son investiture, le nouveau dirigeant de Constantine entreprend l’édification d’un palais digne de la beauté du Vieux Rocher[2] alors en plein essor. 

Aussitôt, la construction de la résidence débute et s’étend jusqu’à 1835, soit deux ans avant la prise de Constantine sous le joug de la colonisation française. 

Le désir de construire le plus beau palais d’Algérie conduit le Bey à annexer toutes les demeures voisines accolées les unes aux autres et à réquisitionner les plus somptueux matériaux et objets d’art de ces dernières. Marbre, colonnes, faïences, portes et fenêtres furent autant d’éléments confisqués pour la future demeure. 

Mécontents, les habitants demandent alors au dey d’Alger d’intervenir pour arrêter la démesure du nouveau Bey. Exaspéré, Hussein dey ordonne à son beylicat de l’Est l’arrêt immédiat de ces fastueux travaux. 

Après la chute d’Alger en 1830, Ahmed bey reprend de plus belle la construction de son logis et impose l’usage des meilleurs matériaux qui arrivent de tout horizon : les colonnes et le marbre depuis Italie ; les 167 types de faïence depuis la Tunisie, l’Italie, Marseille, la Syrie et la Hollande ; le bois de cèdre depuis les Aurès et la Kabylie et enfin les pierres de taille depuis les ruines de Cirta[3].

Au final, le palais achevé atteint plus de 5600 m2 dans lequel abrite cent vingt et une chambres, cinq cents portes[4] et fenêtres en bois de cèdre, gravées de sculptures et décorations[5] dans des tons rouges, verts et jaunes, plus de vingt galeries et deux cent cinquante colonnes de marbre. L’organisation spatiale des lieux répond à trois exigences : intimité du harem, commodité pour les fonctionnaires politico-administratifs et systèmes de ventilation. 

Frederick Arthur Bridgman, Reception of an Ambassador (Palace of Constantine), Algeria, 1880. © Wikipédia

Un intérieur luxuriant au rythme saisonnier   

À l’instar des palais ottomans, plusieurs techniques ingénieuses sont mises en place pour offrir aux locataires un lieu frais et ombragé tout au long de l’année. La clémence des températures est procurée en raison des matériaux employés ainsi qu’aux aménagements stratégiques des espaces.  Marbre, fenêtres, zellig, mouchabiths, cours intérieures, fontaines et jardins participent aussi bien au rafraîchissement des lieux qu’à leur embellissement. 

Répandu depuis l’antiquité pour ses propriétés de refroidissement naturel, le marbre est la roche la plus prisée dans les constructions nord-africaines. Également carrelés de cette pierre calcaire, les plafonds procurent ainsi une agréable fraîcheur en été. Par ailleurs, chaque chambre dispose de fenêtres basses offrant une douce aération et de fenêtres hautes évacuant l’air chaud. 

Issus de calculs mathématiques, les formes géométriques et/ou les motifs floraux répétés à l’infini du zellig propagent un sentiment de quiétude au sein du palais et favorisent une température ambiante grâce à près de 47 000 tesselles.  

Hercule Catenacci, porte-au-palais-de-constantine, 1884. © Wikipédia

Outre la beauté des lumières tamisées pénétrantes dans les salles du palais, les moucharabiehs livrent une aération naturelle. Car, cette cloison orientale assure la circulation de l’air par le biais de son maillage. 

Le jardin des oranger en 2018. © Wikipédia

Mais nous voici devant le palais d’Hadj-Ahmed, un des plus complets échantillons de l’architecture arabe, dit-on. Tous les voyageurs l’ont célébré, l’ont comparé aux habitations des Mille et une Nuits. Il n’aurait rien de remarquable si les jardins intérieurs ne lui donnaient un caractère oriental fort joli. »

Guy de Maupassant

Amoureux des végétaux, le maître des lieux accordait une grande importance aux jardins jusqu’à en posséder deux :  jnan al-tjinna, où le jardin des orangers en arabe et le jardin des palmiers appelé « le grand jardin ». Et c’est ainsi que la résidence est embaumée et aérée. 

Le mur du palais d’Ahmed bey tapissé par la polychromie illustrant son voyage vers les lieux saints de l’Islam ©Wikipédia 

La polychromie d’un périple nommé Orient 

Les murs, ornés d’une polychromie de motifs géométriques et de calligraphies, couvrent près de 2000 m² de surface. Œuvre maîtresse du palais, cette peinture aux couleurs solaires relate le périple de quinze mois qu’entreprend Ahmed bey pour effectuer son pèlerinage. Le visiteur peut admirer les différentes villes visitées de Tunis à la Médine tout en passant par Tripoli, Alexandrie, Le Caire, Istanbul, ou encore l’île Kandia. La polychromie, tel un livre ouvert, permet également une lecture biographique de la vie du Bey et témoigne notamment des batailles livrées aux côtés du dey d’Alger. Cette sublime fresque dévoile entre autres : quarante-quatre drapeaux étendards, trois mosquées, soixante-neuf minarets, cinquante-cinq coupoles, trente-six voiliers, soixante-six frégates, de nombreuses maisons, sept moulins à eau et à vent et quatre palais, soixante-dix huit espèces d’arbres et dont cent trente-quatre palmiers, quatre espèces d’oiseaux, sept moulins à eau et à vent et quatre palais.  

Pour les historiens, la polychromie du palais représente un document historique rare qui fournit de nouveaux éléments de réponse sur l’empire ottoman et la régence d’Alger. 

Diwan et tribunaux : espaces d’ordre et de paix

Le diwan est la salle du conseil dans laquelle recevait Ahmed bey et ses dignitaires. 

Grâce ses quinze fenêtres, le diwan permettait au dernier bey de Constantine de garder un œil sur son palais. Et pour une sécurité optimale, des portes secrètes sous forme d’armoires furent construites à cet égard. Le pavillon administratif du palais accueillait également deux tribunaux, l’un civil et l’autre militaire. Les tribunaux suivaient une organisation de travail rigoureuse. Les audiences étaient assurées du samedi au jeudi par deux juges et le vendredi fut réservé au bey pour statuer des questions périlleuses.Afin de conserver l’intimité du harem, les justiciables  accédaient par une porte extérieure réservée aux étrangers.  

Scénographie du diwan en 2021 ©Fayçal Métaoui

Le Palais sous la colonisation française

Vainqueur lors de la bataille de Constantine de 1837, Ahmed bey est contraint à l’exil et se réfugie dans les Aurès où il continua d’amener la résistance contre l’occupant.  Depuis et jusqu’à l’indépendance de l’Algérie en 1962, le palais d’Ahmed bey devient propriété de l’administration coloniale et pris le nom du palais de la Division.  Les lieux ont servi comme hôpital aux troupes françaises, quartier général de l’armée, bureau du commandement militaire ou encore conseil de guerre et bureau arabe subdivisionnaire.  

Le palais a, par ailleurs, accueilli de nombreuses personnalités occidentales. Des artistes y logèrent et s’inspirèrent pour leurs œuvres c’est le cas  d’Horace Vernet ou encore Guy de Maupassant. Des politiques et des membres de familles royales tombèrent également sous le charme de l’édifice tels que : le duc de Nemours, le prince Napoléon et son épouse, Clotilde de Savoie, le roi des Belges, Léopold II ou encore Napoléon qui planta, à l’occasion de sa visite, un cèdre du Liban[6].

Au cours de cette période, le palais subit plusieurs transformations. L’armée coloniale introduit une extension et modifie l’espace intérieur détruisant alors le bassin et une partie des jardins ce qui endommagera l’authenticité des lieux, particulièrement la fresque[7].

L’étable et le hammam, situés au sous-sol, furent également détruit pour aménager un plus  large espace pour l’administration d’état civil. Quant à l’étable, elle servira comme lieu de torture. 

Galerie du palais d’Ahmed bey  ©Yelles

Le  palais aujourd’hui 

Après l’indépendance du pays, les locaux furent d’abord occupés par l’armée algérienne puis se transforment en un espace de manifestations culturelles.  Au début des années 1980 commence la restauration des sites. Pour une authenticité d’antan, les architectes s’appuieront sur les Mémoires d’Ahmed bey. Classé monument historique, le palais accueille aujourd’hui le Musée national public des arts et expressions culturels traditionnels qui présente des expositions sur l’histoire de la ville et de la région ainsi que sur l’art et l’architecture de l’époque ottomane.

Le diwan reconstitue notablement le décor d’antan à la faveur de la réalisation de la scénographie aux trois figurinesreprésentant le bey Ahmed en compagnie de son premier ministre, Ali Ben-Aïssa ainsi que de son ministre de la Défense, Ben Othman. Au sein même de la salle, sont exposées des étendards, le drapeau rouge du beylik de l’Est, des lettres, des pièces de monnaie fabriquées en or, en argent et en bronze sans oublier le seau du bey.

Témoin ancestral des derniers instants de la régence ottomane en terre algérienne et des premiers jours du joug colonial sur le sol constantinois, le palais d’Ahmed bey est un joyau historique et une perle patrimoniale qui recèle en ses murs mémoires et oublis d’un passé glorieux. 


[1] Le beylik de l’Est, appelé aussi beylik de Constantine (province ou beylicat de Constantine), est l’un des trois beyliks de la régence d’Alger. Le beylicat de Constantine, considéré comme le plus important et le plus riche de tous, voit le jour en 1528 et prend fin en 1837 après de la prise de Constantine.   

[2] Nom attribué à Constantine, car construite sur un blanc calcaire. 

[3] Cirta est le nom antique de Constantine.

[4] La porte du palais d’Ahmed bey, datant de plus de 400 ans, était à l’origine celle de Dar El Imara. Fabriquée avec du bois de noix et avec des teintures naturelles et sans aucun clou. Une calligraphie est inscrite en haut de la porte portant des louanges au Bey. 

[5] Pour la décoration de son palais, Ahmed bey sollicita deux artistes algériens forts réputés : el hadj el-Djabri et el-Khettabi. 

[6] Planté en 1865, le cèdre demeure encore présent dans le jardin. 

[7] Les résultats d’une étude menée par des spécialistes du laboratoire du Musée national public des arts et expressions culturels traditionnels montre que six couches de peinture en l’huile d’amande furent superposées par l’armée coloniale. 


Pour aller plus loin 

Noureddine NESROUCHE, Kays DJILALI, Constantine : mémoire, patrimoine et passion, Chihab, Alger, 2017.

Fatima-Zohra GUECHI (dir.), Constantine: une ville, des héritages, Constantine, Média Plus, 2004.

 

Crédit photo couverture : Artiste inconnu, Jardin du Palais, Library of Congress Prints and Photographs Division Washington, D.C. 20540 USA (Wikipédia)

Marwa

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