27/11/2020 par Nolwenn Guedeau

Au vu des dernières années de conflit en Irak, il apparait difficile d’alerter les populations locales sur le trésor culturel qu’ils ont sous leurs pieds. Alors même que la sensibilisation des communautés locales est une priorité pour parvenir à un meilleur entretien et une sauvegarde plus efficace du patrimoine

Fig. 01. Vue depuis la Citadelle sur les fortifications de la ville – Photo H. Hoor – Septembre 2017

Khorsabad se situe au nord de l’Irak, dans la province de Ninive à seize kilomètres au Nord-Est de Mossoul. Cette ville fut construite en l’espace de dix ans à partir de 713 av. J.-C. par le roi Sargon II qui en fit sa nouvelle capitale assyrienne nommée Dûr-Sharrukin, « La forteresse de Sargon ». Mais cette cité ex nihilo ne sera jamais achevée, tout simplement abandonnée à la mort du roi. Son fils Sénnachérib s’installera en 705 av. J.-C. à Ninive[1]. C’est en 1842 que Paul Emile Botta est nommé Consul de France à Mossoul et, dès 1843, il découvre Khorsabad qu’il prend alors pour Ninive[2]. Il ferma le chantier de fouilles en 1844, pensant avoir exhumé une grande partie du site, alors qu’il n’avait étudié que le secteur nord-ouest du palais. Ce fut ensuite le tour de Victoire Place d’être nommé consul à Mossoul en 1851 et de reprendre les fouilles de Khorsabad. Le site sera fouillé ensuite par l’équipe américaine de Chicago, The Oriental Institute entre 1929 et 1935. Puis, en 1957, par Fuad Safar, directeur du département des Antiquités d’Irak.

Le site était encadré d’une muraille quadrangulaire fortifiée, faisant environ mille sept cents cinquante mètres sur mille six cents cinquante mètres. On y accédait probablement par huit portes, mais seulement sept furent retrouvées. La cité ne fut occupée que durant une période très courte, c’est pourquoi on retrouva à l’intérieur uniquement une citadelle fortifiée au nord et au sud, abritant notamment le palais F. On accédait à la citadelle par deux portes connues pour être encadrées par deux lamassu. On y trouve un grand palais de brique, ainsi que quatre autres bâtiments (K, L, J et M) dont l’architecture est semblable au palais, mais de taille inférieure. S’y trouvait aussi un temple au dieu de l’écriture : Nabû. Le grand palais fut construit à demi sur la muraille de la ville. Ses fondations reposent sur une terrasse en terre artificielle d’une hauteur d’environ 10 mètres, une large rampe permettant d’y accéder. Un triple portail perçait la façade du palais, qui ouvrait sur une large cour qui permettait d’accéder aux différents espaces du palais mais aussi aux temples et aux lieux de stockage. Le site regroupait de nombreux décors typiques de la culture assyrienne, c’est-à-dire des reliefs monumentaux représentant des défilés de dignitaires, des scènes de transports de bois ou encore des scènes de chasse, mais aussi de très intéressantes peintures murales.

Fig 02. Plan de Khorsabad. Dessin d’Eugène Flandin,
D’après BOTTA Paul-Émile, Monument de Ninive – 1844
Fig. 03. Camps militaire au sommet de la Citadelle – Photo H. Hoor – Septembre 2017
Fig. 04. Panneaux indiquant des zones minées – Photo H. Hoor – Septembre 2017

UNE VISITE EN 2017

 Ne vous inquiétez pas, le site n’a pas subi de dommages …

Tels furent les mots prononcés par le Docteur Hasan Qasim Barwany, directeur des Antiquités de la province de Dohuk à l’égard du site de Khorsabad. Lors de ma visite en 2017[3], le site n’était qu’un champ où des traces de pneus remplaçaient les anciens sols assyriens. On pouvait aussi retrouver sur la partie la plus haute du site, à l’emplacement du palais de la ville haute, un petit campement militaire (Fig. 03) où la présence de mines était particulièrement visible. (Fig. 04). En effet, Khorsabad est le point culminant surplombant la plaine de Mossoul, il permet d’anticiper l’arrivée de l’ennemi. Des mines ont donc été posées pour empêcher toute attaque de la zone. S’il est à présent impossible de savoir si des mines ont explosé sur le site, leur seule présence a endommagé les niveaux stratigraphiques.

Aujourd’hui, il est encore possible d’apercevoir les anciennes fortifications de la ville, mais en septembre 2017, l’ensemble du terrain était couvert de traces de pneus et jalonné de voitures brulées.

Autre preuve du désastre archéologique est la création d’un talus entourant le tell afin de produire une protection supplémentaire des parties hautes (Fig. 05). Ce talus a montré une quantité très importante de céramique, signe d’utilisation de la terre du site assyrien. Mais cette terre, gardienne d’un passé ancien, a été aussi utilisée pour barrer les routes permettant l’accès à Mossoul (Fig. 06). Certaines fosses creusées sur la plaine restent encore inexpliquées. Il pourrait s’agir de pillages irréguliers, mais aussi des traces d’anciennes fouilles, ou des vestiges de la guerre.

Fig. 05. Talus récent encadrant la Citadelle – Photo H. Hoor – Septembre 2017
Fig. 06. Terre provenant de Khorsabad utilisée comme barrage pour bloquer la route menant à Mossoul – Photo H. Hoor – Septembre 2017

Plus surprenant étaient la présence des pattes arrières d’un lamassu ou d’un autre animal bovin, sculptées dans une pierre grise tachetée de blanc semblable à certaines statues de lamassu maintenant conservées à Paris, d’une hauteur d’environ soixante centimètres, se trouvant encore au centre du tell. Objet d’une valeur scientifique inestimable, elles ont pu ressortir de terre suite aux différentes activités militaires sur le terrain. À même le sol, se trouvaient également des fragments parfois de très bonne qualité, de tablettes cunéiformes (Fig. 07).

Fig. 07, Une tablette cunéiforme, Photo H. Hoor,
septembre 2017

Laissé ici, ce morceau pourrait facilement être ramassé, vendu et perdu pour la communauté scientifique. Entre deux traces de véhicules, gisaient les rares derniers blocs de pierres et de briques d’argile cuite ayant servi à la construction de la ville (Fig. 08). Comme sur d’autres sites du Kurdistan assyrien, certaines inscriptions pouvaient encore se lire, donnant probablement des informations sur la construction qu’étaient jadis ces blocs. Loin de toute relation avec l’état islamique et ses conflits, se trouve aussi, à l’endroit des anciennes cours du palais, un terrain de football (Fig. 09). Car au-delà des guerres idéologiques, des hommes et des femmes continuent de vivre non loin de l’ancienne Dûr-Sharrûkin. Mais au vu des dernières années de conflit en Irak, il apparait difficile d’alerter les populations locales sur le trésor culturel qu’ils ont sous leurs pieds. Alors même que la sensibilisation des communautés locales est une priorité pour parvenir à un meilleur entretien et une sauvegarde plus efficace du patrimoine.

Fig. 08. Pierres de construction – Photo H. Hoor – Septembre 2017
Fig. 09. Terrain de football sur l’enceinte de Khorsabad – Photo H. Hoor – Septembre 2017

Ces destructions n’obéissent pas uniquement à un idéal religieux, elles sont aussi un moyen d’intimider les populations locales et internationales en réinventant une histoire régionale

Une nouvelle attention médiatique

Plusieurs sources médiatiques permettent de se rendre compte de l’état du site et de ses dommages. Le site internet gouvernemental français archeologie.culture.fr[4] le définit comme dans un état de destruction avancée.

Le 26 février 2015, la première vidéo de l’État islamique mettant en scène la destruction du Musée de Mossoul est diffusée. Elle sera suivie par Hatra, Ninive, Nimrud, Palmyre. Ces vidéos médiatisées et symboliques ont choqué le monde entier[5]. Cette idéologie de haine se serait aussi illustrée à Khorsabad[6]. La ville aurait été détruite entre avril et mars 2015, les restes de ses murailles et les fondations des derniers temples devenues victimes des stratégies de ruines de l’État Islamique. Les informations ont d’abord été transmises par les autorités irakiennes, puis des nouvelles ont été données régulièrement par les habitants des villages et villes limitrophes sur les réseaux sociaux. L’État islamique utilise également les nouvelles technologies comme moyen de communication. La destruction de Khorsabad s’inscrivait dans une volonté d’oubli des civilisations antérieures à l’islam, symboles de la décadence et de l’idolâtrie intolérable dans l’idéologie radicale du groupe. Ces destructions n’obéissent pas uniquement à un idéal religieux, elles sont aussi un moyen d’intimider les populations locales et internationales en réinventant une histoire régionale. De plus, la valeur marchande des objets pillés reste une source puissance de financement du terrorisme.

Aujourd’hui, les nouvelles technologies permettent de faire revivre certains sites et objets détruits

CE QUI EST FAIT POUR KHORSABAD

Les vestiges de Khorsabad ont été majoritairement conservés au Louvre suite aux fouilles de Paul-Emile Botta  au XIXe siècle mais aussi à Chicago après les fouilles de l’Université américaine entre les années 1920 et 1930. Le mobilier découvert a été conservé au Musée de Bagdad, mais a été grandement pillé en 2003 et une grande partie des collections a disparu. Il est très difficile de connaître l’ampleur des dégâts de ces pillages. Les inventaires n’ont pas été suffisamment précis pour que tous les objets disparus soient identifiables.

Depuis 2013, plusieurs milliers d’objets ont été retrouvés. Malheureusement, l’occupation de la ville de Mossoul par l’Etat islamique (2014-2017) a entrainé la destruction et le pillage de nombreux objets avec notamment la destruction du Musée de la ville [7] qui  détenait de nombreux trésors antiques. Aujourd’hui, les nouvelles technologies permettent de faire revivre certains sites et objets détruits. De nombreux programmes et initiatives ont permis la numérisation de trésors archéologiques. C’est ce qui a notamment été fait par l’Université Harvard avec l’accord du Musée du Louvre pour la numérisation des taureaux monumentaux de Khorsabad. Bien qu’un modèle 2D ou 3D ne saurait remplacer un original, c’est une preuve d’une œuvre à un temps donné dans un état précis, élément de documentation essentiel pour tout objet. De la même manière, une visite virtuelle du site de Khorsabad a été conçue dans le cadre de l’exposition « L’histoire commence en Mésopotamie » au Louvre-Lens en 2016 en partenariat avec l’ICONEM. Cela a été notamment permis par la numérisation 3D faite à partir de relevés topographiques et de plans réalisés par différentes équipes d’archéologues. La reconstitution donne donc une vue particulièrement précise des abords de la cité jusqu’aux détails des salles royales ornées de reliefs. Dans le même esprit, le Project Mossoul  lancé en 2015 a permis également de récréer les collections du musée de Mossoul de manière virtuelle.

Fig. 11. Superposition du plan du site de Khorsabad sur le relevé 3D du tell obtenu par traitement photogrammétrique de milliers de photographies.
ICONEM

Le site de Khorsabad est l’une des grandes merveilles de l’Irak. Sa préservation doit être une priorité culturelle dans la région. De nombreuses lois, de nombreux systèmes se sont mis en place au niveau international pour la sauvegarde du patrimoine mondial. Toutefois l’accentuation des conflits, a rendu cette tâche plus compliquée.  Tout semble devoir rester immobile face à une entité non étatique comme Daesh. Un travail plus important de sensibilisation des populations locales à leur patrimoine est à réaliser. En effet, la sensibilisation et la pédagogie sont autant d’enjeux de conservation du patrimoine, actions aujourd’hui localement menées dans cet Irak en marche vers la lutte pour la protection de son passé.


[1]PARROT André, Assur, L’univers des formes, Édition Gallimard, 1969.

[2]Paul-Émile Botta recherchait activement Ninive puisque la ville était citée dans la Bible. 

|3]Je fus  invitée à Khorsabad avec l’équipe kurdo-allemande KUGAMID (Kurd and German Archaeological Mission In Dohuk) et EHAS (East Habur Archaeological Survey) par les forces armées Peshmerga protégeant l’entrée de la ville de Mossoul et le Directeur des Antiquités de la Province de Dohuk, Docteur Hasan Qasim Barwany. La situation politique avant le référendum d’indépendance des Kurdes irakiens de septembre 2017 avait laissé la main mise des régions limitrophes de Mossoul ainsi que la ville elle-même, aux Peshmerga, tout comme la région de Kirkouk ou d’autres au sud de Suleymaniyah. Les Pershmerga ayant repris principalement ces terres des mains de Daesh. Mais suite au référendum, jugé illégal par le gouvernement de Bagdad, l’armée nationale irakienne reprit dans les mois suivants tous les territoires sous contrôle kurde, anéantissant tout espoir de revoir Khorsabad en 2018 pour les membres de KUGAMID.

[4]http://archeologie.culture.fr/fr/a-propos/khorsabad

[5]UBELMANN, Yves,  « Palmyre, Alep, Mossoul, Leptis Magna, l’histoire d’une quête documentaire », In : Cités millénaires, voyage virtuel de Palmyre à Mossoul, Edition Hazan, 2018., pp. 14-15

[6]MARTINEZ, Jean-Luc, « Quel avenir pour les monuments détruits », In : Cités millénaires, voyage virtuel de Palmyre à Mossoul, Edition Hazan, 2018, pp.112-117

[7]LEVY Joseph J, COHEN Alain, « Les vesticides contemporains ou la ruine des ruines », In : Frontières, Vol. 28,
2016.


Pour aller plus loin :

BIBLIOGRAPHIE

  • MARTINEZ, Jean-Luc, « Quel avenir pour les monuments détruits », In : Cités millénaires, voyage virtuel de Palmyre à Mossoul, Edition Hazan, 2018
  • THOMAS, Ariane, « L’archéologie mésopotamienne au musée, quelques possibilités virtuelles », In : THOMAS, Ariane, L’Histoire commence en Mésopotamie, Snoeck Publishers, Gand, 2016
  • Liste Rouge d’Urgence des biens culturels irakiens en péril, ICOM, 2015
  • GILLMAN, Nicolas, « Le Bâtiment isolé de Khorsabad, Une nouvelle tentative de reconstitution », In : Iraq, Vol. 70, 2008
  • LEVY Joseph J, COHEN Alain, « Les vesticides contemporains ou la ruine des ruines », In : Frontières, Vol. 28, 2016
  • PARROT André, Assur, L’univers des formes, Édition Gallimard, 1969
  • UBELMANN, Yves, « Palmyre, Alep, Mossoul, Leptis Magna, l’histoire d’une quête documentaire », In : Cités millénaires, voyage virtuel de Palmyre à Mossoul, Edition Hazan, 2018
  • VAN DASSOW Eva, « Destroyers of Civilization : Daesh and the 21st Century », In : Altorientalische Forschungen, Vol. 21, Issue 1-2, 2016
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