Le 12/11/2019 par Servane Hardouin

La Nubie est le nom donné à la région qui embrasse le sud de l’Égypte et le nord du Soudan, entre les villes d’Assouan et de Khartoum. Les Nubiens, habitants modernes de la région, sont un groupe ethnolinguistique qui descend d’un peuple ancien de la vallée du Nil centrale, dont l’origine précède l’Égypte pharaonique. La Nubie possède une histoire extrêmement riche, terre du royaume de Kouch, grand rival des pharaons égyptiens, puis siège de divers royaumes antiques, chrétiens, et islamiques, avant que l’occupation britannique n’intervienne, suivie d’une division de la région entre deux États modernes, l’Égypte et le Soudan.

Le patrimoine architectural de la région nubienne possède des caractéristiques uniques ; la technique dite de la “voûte nubienne” est particulièrement remarquable. Il s’agit d’une arche construite en briques de terre, empilées sans besoin d’une structure de soutien et permettant de bâtir des maisons aux toitures voûtées. Elle repose sur l’usage d’un matériau de construction local, l’adobe – un mélange d’argile, d’eau et de paille, façonné en forme de brique et séché au soleil. Sa durabilité, sa simplicité et son esthétisme étaient déjà connus des habitants de l’antiquité : à Louxor, la Thèbes de l’Égypte ancienne, on peut encore apercevoir plusieurs voûtes de briques dans l’enceinte du Ramesseum, le temple dit “des millions d’années” du pharaon Ramsès II, bâti vers 1250 avant notre ère. Depuis l’antiquité et durant des siècles, la voûte continue d’être utilisée dans la région nubienne, pour construire des maisons, des tombes et des palais royaux.

C’est l’architecte égyptien Hassan Fathy, récipiendaire du premier prix Nobel alternatif en 1980 et pionner de l’architecture durable, qui remet la voûte nubienne au goût contemporain. Il découvre cette technique en 1941, dans le village nubien d’Abu al-Riche, près d’Assouan, au sud de l’Égypte. Entre 1946 et 1952, alors qu’il conçoit et crée de toutes pièces le village de New Gourna, près de Louxor, celui-ci décide de réinterpréter les principes d’architecture et d’urbanisme jusqu’alors connus en utilisant des techniques traditionnelles et des matériaux locaux. Il puise alors dans les pratiques anciennes de la région, en particulier la voûte nubienne, ainsi que l’usage de la terre comme matériau de base, afin de respecter des principes nouveaux de durabilité et de cohésion sociale. Le résultat : un village à la vision humaniste innovante et à l’esthétisme singulier, dont la conservation est organisée aujourd’hui par le Centre du Patrimoine Mondial de l’UNESCO et par le World Monument Fund.

Pour ces mêmes principes humanistes, la voûte nubienne suscite aujourd’hui l’intérêt des pays voisins de l’Égypte et du Soudan. Dans les années 1980, l’Organisation non gouvernementale (ONG) Development Workshop, dont les fondateurs ont travaillé aux côtés d’Hassan Fathy, identifient la voûte comme une solution durable aux problèmes d’habitat en Afrique. Plusieurs raisons à cela : l’utilisation de la terre, un matériau local, économique, et abondant dans une région où le bois est rare et la tôle coûteuse ; également, la simplicité de la technique, la durabilité de la construction obtenue, son confort thermique et énergétique, et son esthétisme ancré dans les traditions et savoir-faire locaux. En 2000, c’est l’ONG franco-burkinabé, La Voûte Nubienne, qui reprend le flambeau, en standardisant la technique afin de permettre son appropriation par les populations d’Afrique de l’Ouest. Aujourd’hui, l’organisation a initié la construction de près de 3500 maisons économiques, esthétiques, et durables pour des populations du Mali, du Ghana, du Bénin, du Sénégal et du Burkina Faso. Par ce choix d’une architecture ancrée dans la culture et l’économie locales, cette ONG se fait héritière et transmettrice d’un patrimoine ancestral.


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