Le 27/11/2019 par Servane Hardouin

Dans le désert non loin du Caire, le Grand Musée Égyptien (al-Mathaf al-Misri al-Kabir), GEM, voit le jour. Cet édifice, donc la première pierre fut posée en 2002, ouvrira ses portes au public à la fin de l’année 2020. C’est un projet sans précédent, à l’échelle de l’Égypte, du monde peut-être – un projet architectural d’une ampleur qui n’a jamais existé en Égypte depuis les pharaons”, selon les mots de Pierre El Akl, ingénieur sur le chantier.

Tout, dans ce projet, dépasse les mesures. Le gigantisme des proportions, d’abord : chaque jour, 5 000 ouvriers échafaudent ce bâtiment destiné à abriter 100 000 œuvres, qui s’étend sur 133 000 mètres carrés et qui est posé dans un espace de 470 000 mètres carrés – incluant des jardins et expositions de sculptures à air libre, tel le “Jardin de la Vallée du Nil” et le “Jardin du temple”. Le financement drainé, ensuite ; depuis les débuts, la somme a été multipliée par deux, passant de 500 millions de dollars à plus d’un milliard ; comme pilier essentiel de cette levée de fond : une exposition mondiale autour d’un trésor unique, le mobilier funéraire de Toutankhamon, qui sillonne le globe entre Los Angeles, Paris, Londres, et Sidney. Le musée se démarque aussi par l’unicité de son style architectural ; c’est un architecte japonais, choisi à l’issue d’un concours organisé par l’UNESCO, qui a dessiné ce monument d’acier et d’albâtre dont la façade angulée évoque les pyramides.

Dans l’immense hall d’entrée, les futurs visiteurs sont accueillis par une statue colossale du pharaon Ramsès II, haute de 11 mètres et lourde de 83 tonnes, déplacée depuis l’actuel musée du Caire dans une procession solennelle digne d’un chef d’État. Non loin du hall, un immense escalier de pierre, d’une hauteur de 12 étages et bordé par 96 sculptures, mène les visiteurs aux 7 000 mètres carrés de pièces dédiées aux objets provenant de la tombe de Toutankhamon. Certains sont déjà sur place, non dans les vitrines mais dans des laboratoires de restauration à la pointe de la technologie, reliés au nouveau musée par une passerelle souterraine. La plupart des objets sont transférés depuis le vieux musée égyptien du Caire, construit en 1902 ; la collection du GEM sera complétée, juste avant son ouverture au public, par l’installation des objets de Toutankhamon, à leur retour d’Australie.

Le Grand Musée Égyptien représente un enjeu économique majeur pour l’Égypte. Son but explicite : contribuer à une relance massive du tourisme égyptien et international, drastiquement diminué depuis la chute du régime en 2011 et les attentats. Selon les prévisions officielles, le nouveau musée pourrait attirer jusqu’à 5 millions de curieux par an. Il s’agira d’un tourisme facilité : si le vieux musée est situé dans le centre historique du Caire, le nouveau est élevé à Gizeh, en banlieue de la capitale, à distance à pied des pyramides et du sphinx. Il forme un élément clef dans l’élaboration d’un pôle touristique sur le plateau de Gizeh – auquel participe également la construction d’un nouvel aéroport près des pyramides.

Mais l’impact de ce projet, si essentiel aux revenus nationaux du tourisme, sera potentiellement négatif pour l’économie locale, avec un risque d’abandon de la ville intérieure, de ses commerces et de ses monuments culturels. Si l’ancien musée attirait les foules vers le centre historique du Caire, elles perdent désormais cette motivation principale à un détour des pyramides par la ville. Dans le cadre d’un tourisme de consommation de masse, où les tours guidés ne réservent souvent qu’une seule journée à la visite de la capitale avant un voyage vers le sud, c’est tout le patrimoine de la ville, tels le musée copte, le Caire historique, la forteresse romaine, ou la mosquée Ibn Touloun, qui risque d’être délaissé.

L’autre défi majeur résultant de l’arrivée de ce nouveau musée est la redéfinition du rôle du musée historique, le musée égyptien du Caire. Situé au cœur de la ville, place Tahrir, il fut construit à l’aube du vingtième siècle par un architecte français. L’arrivée du GEM le place dans une position difficile, autant par la concurrence auprès des visiteurs que par le transfert de son atout essentiel, le trésor de Toutankhamon. Si l’ancien musée conserve de nombreux chefs-d’œuvre, tels une statue du roi Khephren et le trésor des tombeaux de Tanis, l’enjeu désormais est de persuader les touristes que leur intérêt équivaut celui de l’or de Toutankhamon. Les années à venir seront ainsi clefs dans l’importance que le vieux musée se donnera au XXIe siècle. Aujourd’hui, un projet de collaboration international, financé à hauteur de 3,1 millions d’euros par l’Union Européenne, associe le musée égyptien du Caire, le gouvernement de l’Égypte, et cinq grands musées européens sur la question. L’horizon visé : réussir, par un renouveau en profondeur d’une institution de l’époque coloniale, à faire inscrire le légendaire musée d’antiquités sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.


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