Le 09/01/2020 par Karam Shahrour

Inscrite par l’UNESCO au patrimoine culturel immatériel de l’humanité, la fauconnerie est un art ancien qui consiste à capturer du gibier dans son habitat naturel à l’aide d’un rapace dressé. Pratiquée depuis des millénaires le long des routes migratoires qu’empruntent les rapaces, cette technique de chasse était très populaire chez les Arabes durant les ères antéislamique, omeyyade et abbaside. Symbolisant par excellence l’alliance entre l’homme et l’animal, la fauconnerie était traditionnellement synonyme de noblesse. De nombreuses vertus lui étaient associés, au premier rang desquelles la patience, la force morale, et la camaraderie. Plusieurs poètes de l’ère abbasside, notamment Abû Nuwâs, Ibn al-Mu‘tazz et Koshajem, la mirent à l’honneur en décrivant la relation de l’homme avec le rapace, et en narrant des épisodes de chasses dans lesquels les faucons s’illustraient par leur aptitude à capturer leur proie.

Bien qu’elle ne soit plus pratiquée pour subvenir aux besoins alimentaires d’une population, la fauconnerie joue encore aujourd’hui un rôle important dans le monde arabe, plus précisément dans la péninsule arabique. En effet, depuis le début du XXIème siècle, cette technique de chasse s’est progressivement muée en sport national et s’est rapidement imposée comme le sport le plus prisé de la péninsule. Pratiqué par les cheikhs du Golfe et leurs sujets masculins, tout un écosystème s’est développé ces dernières années autour de ce sport. Des compétitions régionales et internationales sont organisées au Bahreïn, au Qatar, aux Émirats arabes unis et en Arabie saoudite pour élire chaque année les faucons les plus rapides de la région, voire du monde. En 2019, le festival saoudien de la fauconnerie du roi Abdelaziz a été déclaré plus grand tournoi de course de faucons du monde avec la participation d’un nombre record de 1 723 faucons qui ont concouru pendant 10 jours. En parallèle, les pays du Golfe ont engagé d’autres politiques visant à garantir la pratique de la fauconnerie et à la promouvoir. Le Qatar et les Émirats arabes unis ont ainsi respectivement institué un et plusieurs hôpitaux au rayonnement mondial spécifiquement consacrés au soin des faucons. L’hôpital du Qatar se situe au sein du marché des faucons (« Sûq al-suqûr »), qui se trouve lui-même au Sûq Wâqif, le célèbre souk de la capitale. Marquant l’importance régionale croissante de la fauconnerie, des passeports spécifiques aux faucons ont également commencé à être délivrés à partir de 2014 par les États du Conseil de Coopération du Golfe (à l’exception de sultanat d’Oman), à la suite d’un accord visant à réguler et faciliter leur transport à travers la péninsule.

Le prestige moderne associé à la fauconnerie a provoqué un véritable engouement autour de ce sport surnommé, du fait de son élitisme, « le sport des princes ». La jeunesse locale se déclare en particulier conquise et cherche à tout prix à se procurer les faucons les plus prisés, tant pour s’illustrer dans les compétitions régionales qu’à des fins ostentatoires – le prix d’un faucon allant de 4000€ à 200000€. Tristement, l’effet de mode qui lui est associé se fait en partie au détriment de l’art de la fauconnerie, pris non en tant que simple sport ou technique de chasse, mais comme pratique culturellement ancrée voire comme parcours initiatique. Les nombreuses acquisitions de faucons ne sont que rarement accompagnées d’une transmission des valeurs et plus globalement de la culture traditionnelle entourant cet art. Néanmoins, ces valeurs sont toujours soigneusement conservées et transmises par une minorité dépositaire du savoir et des pratiques traditionnelles. Un lien de «mkhuwa », qui désigne une « relation de camaraderie et de partage égalitaire des tâches, du coût et des responsabilités pendant une partie de chasse »[1], continue ainsi à gouverner la conduite de ces « authentiques » fauconniers, pour qui la fauconnerie est aujourd’hui « principalement un moyen de savourer une tradition culturelle célébrant l’esprit de camaraderie dans le désert »[2].

C’est précisément dans cet esprit-ci que le cheikh Zayed ben Sultan al-Nahyane, le défunt fondateur des Émirats arabes unis, pratiquait cet art, qu’il utilisait également pour renforcer les liens sociaux et politiques entre les grandes familles émiriennes. Réputé pour son attachement aux traditions bédouines ancestrales, le cheikh est l’homme à l’origine de l’essor moderne de la fauconnerie aux Émirats arabes unis, et plus largement dans la péninsule arabique. Il dédia plusieurs poèmes au rapace qu’il érigea en emblème national. Dans l’un d’eux, intitulé Les Faucons loyaux, il proclame :

مرحبا بالصقور المخلصين      مرحبا يا هلا حي بالشهامه

ضامنين الوطن صانوا احترامه         قدرهم عندنـا عالـي و ثميـن

« Bien le bonjour les pleins de magnanimité (« al-shahâma »),  bonjour les faucons loyaux !

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Les garants de la patrie, ils ont sauvegardé son respect ;  leur destin, chez nous, est élevé et précieux ! »

En célébrant la grandeur des faucons et le lien spécial qui les unit à la patrie, tant dans ses poèmes que dans ses actions, le cheikh Zayed ben Sultan a su revivifier l’alliance ancestrale entre l’homme et le rapace et ancrer durablement cette tradition dans le patrimoine arabe. En promouvant cet art et en en faisant un élément central de l’identité arabe, il a par ailleurs participé de manière significative à la construction d’une identité « khaleeji »[3] commune et moderne qui puise ses sources dans le passé. À ce titre, bien que les modalités de sa pratique soient différente à l’ère moderne, la fauconnerie continue à remplir l’une de ses fonctions originelles, à savoir : rassembler les hommes, et consolider les liens de fraternité entre eux.

[1] L’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, Dossier de candidature n° 01209 pour inscription en 2016 sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Addis-Abeba : UNESCO, 2016, 48p

[2] Ibid

[3] Nom commun attribué aux habitants de la région de la péninsule arabique


Pour aller plus loin :

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