27/10/2021 par Amina Mir

Un village à l’histoire unique à la marge du temps et de l’espace

C’est dans l’extrême-sud du Liban, à seulement quelques kilomètres de la frontière avec Israël, que se trouve Naqoura, un village de seulement 4 800 hectares et 2 000 habitants qui n’en reste pas moins important de par son histoire et sa place au sein du patrimoine naturel libanais. 

L’histoire ayant frayé son chemin dans les sillons des falaises de ce petit village, l’occupation par l’armée israélienne jusqu’en 2000 en fait une zone qui reste encore aujourd’hui instable comme en témoigne les troupes de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) qui surveillent la frontière libano-palestinienne (il faut une autorisation spéciale pour pouvoir pénétrer sur le territoire de Naqoura). 

Parallèlement, du fait de l’occupation, cette région, comme la majorité du sud-Liban, a été préservée des constructions anarchiques et massives qu’a connu le Liban entre 1975 et 1990. En effet, après la guerre civile, Naqoura s’est vidée de quasiment toute présence et activité humaine, devenant une sorte de « no man’s land », ayant un impact direct sur l’héritage naturel de la côte. Le contraste se fait rapidement sentir lorsque l’on quitte le centre-ville de Beyrouth très urbanisé, avec une multitude d’enseignes, de centre commerciaux, d’immeubles en béton et de panneaux publicitaires pour arriver dans ce qui semble être resté en dehors du temps. En effet à Naqoura il n’y a ni centre commercial ni une multitude de restaurants ouverts toute la nuit et cela s’explique par l’histoire singulière de la région. 

Outre la guerre civile et l’occupation israélienne, Naqoura a connu un flux important de réfugiés palestiniens dès 1948 avant de devenir une base importante pour les combattants de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) en 1969. Ce n’est que depuis 2006 que le calme s’est rétabli au Sud-Liban, malgré quelques affrontements périodiques avec les forces israéliennes. 

Géographiquement, le village se situe en haut d’une falaise, côtoyant des côtes restées sauvages mais peu ou pas entretenues par les autorités publiques, aboutissant à la dégradation croissante de l’environnement de la région. La centralisation des pouvoirs politiques et administratifs au sein de l’exécutif explique en partie la situation difficile dans laquelle se trouvent plusieurs régions dont le Liban sud.

Des enjeux écologiques et patrimoniaux multiformes

Aujourd’hui plus que jamais, le patrimoine naturel et historique libanais est menacé par une crise écologique qui s’aggrave de jour en jour, s’inscrivant dans le cadre plus large de la crise libanaise depuis 2015. L’absence de considération de la part des pouvoirs publics couplée à la dégradation environnementale que connait l’ensemble de la planète aboutit à une altération alarmante du littoral libanais, Naqoura étant en première ligne. Tout d’abord, la qualité de l’eau se dégrade de manière exponentielle sur toute la côte libanaise du fait des activités urbaines humaines croissantes et hautement polluantes. Cependant, Naqoura étant une zone peu développée, avec une faible démographie et une instabilité caractéristique, la qualité de l’eau demeure supérieure à la moyenne libanaise. Cependant, le manque de moyen et de conscientisation des citoyens aux questions environnementales menace les côtes de la région sud, les laissant abandonnées à la décrépitude progressive, dépossédant les Libanais d’une partie de leur patrimoine naturel. Comme tout le territoire national, Naqoura souffre de pénuries d’électricité, bénéficiant de seulement dix à douze heures de courant, les maisons étant alimentées par des générateurs au pétrole le reste de la journée. Paradoxalement, Naqoura bénéficie de trois cents jours de soleil par an, faisant des panneaux solaires une alternative prometteuse face aux énergies fossiles. Concernant l’agriculture, le village est connu pour ses plantations de bananes sur sa côte aujourd’hui menacées par la déforestation qui grignote le territoire. 

Au Liban, le développement durable est loin d’être une priorité pour les politiques publiques et occupe une place minime dans l’esprit des Libanais frappés par une crise économique, sociale et politique sans précédent. En effet, si un embryon écologique semble se former au sein de la jeunesse huppée beyrouthine, la catastrophe perdure sur tout le territoire comme en témoigne la crise des déchets de 2015, source de manifestations durant plusieurs semaines dans le pays. Il suffit de se promener dans les rues des villes libanaises pour se rendre compte de l’ampleur du désastre ; les cafards et les rats côtoient les bennes à ordures pleines et les déchets qui jonchent le sol. Alors qu’il faut en moyenne cinq fois le salaire minimum pour pouvoir faire ses courses au supermarché, la préservation du littoral et des falaises semble être complètement en décalage avec la réalité des Libanais. 

La nécessaire sauvegarde de Naqoura et du littoral libanais

Pour pallier les failles du système politique libanais et recréer une cohésion citoyenne et nationale, certains activistes environnementaux utilisent la protection des vestiges naturels nationaux comme point de départ pour changer et faire évoluer les mentalités. C’est le projet de l’ONG libanaise Bahar Loubnan, créée par Rima Tarabay, l’ancienne collaboratrice du premier ministre Rafic Hariri. L’activité de l’ONG se concentre sur le village de Naqoura dans la mesure où il représente l’une des rares zones du littoral libanais à ne pas encore être exploité par les activités humaines et est donc, de ce fait, plus facile à préserver et protéger. La modestie de sa superficie, sa localisation géographique et sa faible densité démographique font de Naqoura un endroit privilégié pour développer un village écologique, projet de Bahar Loubnan. Derrière l’objectif de protection du patrimoine naturel et environnemental libanais se dessine une véritable volonté de reconstruire le vivre-ensemble et l’unicité des habitants de la région. L’esprit de l’ONG réside dans cette envie de mettre l’environnement au premier plan afin de l’utiliser comme tremplin pour un renouveau des liens sociaux. Pour atteindre cet objectif, l’ONG ambitionne d’intégrer prioritairement les acteurs locaux (agriculteurs, élèves, professeurs, habitants, etc.) afin de les sensibiliser aux questions environnementales et à l’importance de lutter pour la protection et la sauvegarde de la richesse naturelle dont bénéficie Naqoura et toute la région sud. Ainsi, en 2005, Bahar Loubnan a signé un accord avec la municipalité de Naqoura pour œuvrer à la préservation du territoire contre les pollutions environnementales afin de préserver de manière durable cette zone sensible et maintenir son activité. 

La question environnementale dans le chaos libanais

L’exemple de Naqoura et du projet de village écologique ne concerne non pas seulement le Liban mais aussi toute la côte méditerranéenne orientale qui souffre, à différentes échelles, d’un manque de considération et d’entretien des entités locales. A l’opposé du paysage politique libanais sectaire et divisé, l’ambition, à Naqoura, est de revivifier les liens locaux qui unissent la population du village à travers l’environnement, puisque le politique et le religieux ne semblent pas effacer les divisions : « Une nation a souvent une langue commune, une histoire commune, mais le plus important, c’est d’avoir un projet commun. Puisque nous sommes divisés, l’écologie peut jouer ce rôle de projet commun à toutes les communautés. » assure Rima Tarabay. Cependant, le travail des activistes environnementaux se heurte inévitablement à la question de l’urgence et des priorités. En effet, est-il possible et réaliste de se concentrer sur des problématiques environnementales comme la création de cultures agricoles biologiques alors que plus de la moitié de la population libanaise vit sous le seuil de pauvreté, que l’insécurité du travail explose tandis que les prix des aliments de base peuvent changer jusqu’à trois fois par jour ? Cette interrogation parait primordiale dans la mesure où elle met en lumière un paradoxe inconfortable ; l’urgence écologique face aux exigences socio-économiques. Si ces deux variables sont aussi importantes l’une que l’autre il n’en reste pas moins vrai que faire face à ce double défi semble être impossible. C’est d’ailleurs l’une des premières difficultés auxquelles sont confrontés les militants des ONG environnementales comme celle de Rima Tarabay dans la mesure où il est très compliqué de lever des fonds pour financer des projets de panneaux solaires ou d’engrais naturels, les donateurs préférant se concentrer sur l’aide humanitaire ou alimentaire. Cependant, la préservation du patrimoine naturel de Naqoura permettrait une meilleure fertilité des sols, favorisant ainsi l’auto-suffisance des producteurs et agriculteurs locaux. De plus, la protection du littoral libanais est plus que nécessaire à l’heure où les vestiges de l’histoire du pays sont plus que jamais menacés et, avec eux, une partie de l’identité libanaise. 

Sensibilisation environnementale et pouvoirs publics

L’évolution de la situation environnementale et sociale à Naqoura reste intimement liée aux dynamiques politiques locales et régionales. L’incurie de la classe politique libanaise ne laisse que peu de perspectives optimistes en ce qui concerne la sauvegarde du patrimoine naturel de Naqoura. Toutefois, le pari lancé par les activistes environnementaux libanais met en exergue des problématiques jusqu’ici peu exploitées comme celle de l’impact de la dégradation de l’environnement sur la cohésion citoyenne locale. 

En effet, la protection du littoral et des sols de la région nécessite un effort collectif, non pas pour soi, mais pour un bien public naturel dont la valeur marchande est difficilement déterminable. La protection de la nature favoriserait le niveau de vie (moins de maladies liées à la pollution atmosphérique et aux engrais chimiques se trouvant dans les fruits et les légumes, un effet du réchauffement climatique lié à la déforestation amoindrie, une dégradation de la fertilité des sols moindre, etc.) et sauvegarderait l’histoire culturelle libanaise millénaire. Cependant, tout cela nécessite une prise de conscience des habitants, longue et difficile à développer, d’autant plus qu’aucune campagne n’est mise en place par le gouvernement. Ainsi, le cas de Naqoura pousse à s’interroger sur le rôle des pouvoirs publics dans la sensibilisation aux problématiques environnementales sans laquelle aucun changement n’est possible. 

Pour aller plus loin

Ecotown, « Naqoura Sud Liban », accessible sur http://www.ecotowns.org/page4/page5/index.html 

Chloé Domat, « Naqoura : le rêve d’un Liban uni autour de l’écologie », Middle East Eye, 23 décember 2015, accessible sur https://www.middleeasteye.net/fr/reportages/naqoura-le-reve-dun-liban-uni-autour-de-lecologie 

Camille Lons, « Interview de Rima Tarabay : L’écologie comme nouvelle forme de citoyenneté en Méditerranée ? », 4 juin 2015, accessible sur http://www.radiogrenouille.com/vues-sur-mer/interview-de-rima-tarabay-lecologie-comme-nouvelle-forme-de-citoyennete-en-mediterranee/ 

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