23/09/2020 par Yara Ritz, Chercheure associée (Liban)

Élus quartier général de la fête, les secteurs de Gemmayze et Mar Mikhael, en sont la fidèle illustration. Quartier dynamique, c’est là que les jeunes ou moins jeunes, libanais ou étrangers avaient l’habitude de se retrouver. Ces deux quartiers, symbole de la vie cosmopolite beyrouthine, ont été les plus touchés par la double explosion.

D’abord une épaisse fumée grise et sournoise. L’affolement général, la curiosité coupable. Puis, la précipitation en direction des fenêtres. Enfin, le déluge. Le souffle coupé, une apocalypse, un vacarme qui, en l’espace de quelques secondes, en plus de l’assourdissement, s’est emparé de vies innocentes.

La capitale est dévastée. Les libanais pleurent non seulement leurs victimes mais également leur patrimoine lourdement impacté par les deux explosions du 4 août 2020 survenues dans le port de Beyrouth.

Gemmayze et Mar Mikhael : une ode aux couleurs et à la vie

Après les longues années de guerre qui ont secouées le pays des Cèdres (1975-1990), la culture de la fête fait partie intégrante des mœurs libanaises. Les rues de leur capitale le démontrent parfaitement.

Élus quartier général de la fête, les secteurs de Gemmayze et Mar Mikhael, en sont la fidèle illustration. Quartier dynamique, c’est là que les jeunes ou moins jeunes, libanais ou étrangers avaient l’habitude de se retrouver. Ces deux quartiers, symbole de la vie cosmopolite beyrouthine, ont été les plus touchés par la double explosion.

©Mia El Khazen

Contrastes et Souvenirs

Mêlant Orient et Occident, les rues Gouraud et d’Arménie situées à Gemmayze représentaient une véritable promenade architecturale et un délicieux voyage dans le temps. Marcher dans ces rues animées constituait une délectable invitation au voyage.  S’y mêlaient dans ce fief bohème et artistique : des pâtisseries aux décorations intérieures coquettes et aux vitrines généreuses, des bars branchés aux vendeurs de journaux, des galeries d’art en passant par les petites épiceries, le quartier était un véritable laboratoire d’idées expérimentales.

Il faudra restaurer et reconstruire en restant fidèle à l’héritage architectural de la ville. La menace des promoteurs immobiliers qui chercheront à profiter de la situation pour acquérir des biens à prix cassé afin de les détruire et de reconstruire des immeubles modernes et fonctionnels, est bel et bien présente…

Des perles d’architecture

Un langage architectural riche en couleurs : voilà ce qu’inspirait les bâtiments historiques des quartiers de Gemmayze et Mar Mikhael. A l’ombre d’un olivier ou sous les toits naturels formés par les feuilles de vignes, on se retrouvait autour d’un repas au sein des grandes cours centrales et accueillantes du quartier.

Ces maisons de caractère indéniables étaient aussi dotées de petits jardins « secrets » situés à l’arrière des bâtiments à l’abri du chaos et du bruit de la ville. Il s’agit de « la maison aux trois arcades » typique de l’architecture traditionnelle libanaise plus spécifiquement beyrouthine. En effet, nombres de ces bâtiments classés patrimoine historique national ont été soit détruits, éventrés ou lourdement endommagés.

©Mia El Khazen

Reconstruire

Comment penser la reconstruction sans laisser place à la spéculation ?

Il faudra restaurer et reconstruire en restant fidèle à l’héritage architectural de la ville. Le chantier sera conséquent, puisque l’urgence ne se limite pas à ce quartier. A Beyrouth, sur huit milles immeubles sinistrés, six cent quarante bâtiments historiques ont été endommagés et soixante autres risquent de s’effondrer (Ministère de la culture libanais).

Parmi eux, le Musée national de Beyrouth, le Musée Sursock, ainsi que le Musée archéologique de l’Université américaine, et de nombreux sites religieux et espaces culturels. L’UNESCO, ainsi que l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit (ALIPH) ont promis de contribuer aux programmes de réédification. Encore faut-il que les fonds nécessaires soient levés. La menace des promoteurs immobiliers qui chercheront à profiter de la situation pour acquérir des biens à prix cassé afin de les détruire et de reconstruire des immeubles modernes et fonctionnels, est bel et bien présente.

Avec l’hiver qui arrive, il est avant tout impératif de consolider les bâtisses, et de les munir de portes, de fenêtres et d’isolation. En effet, au lendemain de l’explosion, plus de trois cent milles personnes se sont retrouvées sans logement.

©Mia El Khazen
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