Le 24/10/19 par Louis Poittevin de la Fregonniere

Il suffit de se promener quelques minutes dans les rues de Beyrouth pour le constater : le Cèdre est partout. Billets de banque, façade des institutions, écoles, des administrations jusqu’aux étales des boutiques de souvenirs, rien n’échappe à cet emblème national qui a profondément imprégné l’imaginaire collectif du pays. Les événements de ces derniers jours confirment l’attachement de tout un peuple à cet arbre millénaire qui s’est au fil du temps imposé comme figure de l’unité nationale. Que ce soit suite aux récents feux de forêts dans la région du Chouf ou au travers des manifestations contre le système politique, les libanais, à travers tout le pays, se sont mobilisés brandissant fièrement leur drapeau frappé du Cèdre.

Symbole de la lutte pour l’indépendance pour certains, nostalgie du pays et de l’âge d’or des années 1960 pour d’autres, rien ne semble être plus rassembleur dans un pays heurté par des décennies de guerres civiles, où les tensions communautaires et la crise politico-économique dictent le quotidien des libanais.

En 1920, les pères fondateurs du Grand Liban inscrivaient déjà l’idée d’une représentation symbolique de la force du peuple libanais : « Un Cèdre toujours vert, c’est un peuple toujours jeune en dépit de son passé cruel. Quoique opprimé, jamais conquis, le cèdre est son signe de ralliement. Par l’union, il brisera toutes les attaques ». Après avoir été sous domination de nombreuses puissances régionales, le jeune Etat au carrefour du vieux continent et du monde oriental attribua au Cèdre une symbolique forte : affirmer sa volonté d’indépendance et de différenciation vis-à-vis de ses voisins.

Le Cèdre s’inscrit alors dans cette volonté de distinction en réaffirmant l’identité nationale et la résistance du peuple libanais face aux menaces extérieures. L’indépendance devait suivre à la fois les frontières historiques mais aussi naturelles du pays. Arbre de la connaissance, ayant traversé les siècles et les civilisations qui s’y sont succédés, le Cèdre constitue un témoin vivant de la vie, ayant vécu le passé et s’érigeant face à l’avenir.

Malgré cette omniprésence dans les symboles, il est impossible de trouver un Cèdre dans les grandes villes qui s’étalonnent le long du littoral. Pour cela, il faut se tourner vers les montagnes et plus précisément vers la chaîne du mont Liban qui traverse le pays du nord au sud en parallèle de la Méditerranée. Historiquement lieu de refuge pour les chrétiens d’Orient fuyant les persécutions, le mont Liban présente un climat particulièrement propice aux Cèdres qui ne poussent qu’à une altitude de 1200 à 1800 mètres.

Déjà sous l’époque phénicienne, le bois du Cèdre, réputé pour sa solidité et sa nature imputrescible, était utilisé dans la fabrication de navires et de monuments sacrés. Le premier ainsi que le second temple de Jérusalem présentaient une charpente en bois de Cèdre, tandis que les textes saints des trois grandes religions monothéistes citent le Cèdre à de nombreuses reprises. Des Phéniciens aux Romains, en passant par les Égyptiens, ce furent ces civilisations qui commencèrent un phénomène de déboisement du pays, conduisant au fil des siècles à une modification profonde du paysage libanais.

Malgré cela, quelques poches de biodiversité persistent sur le territoire libanais, véritables capsules temporaires qui témoignent de l’environnement passé.

Au nord du pays, dans la vallée sainte de la Qadisha, se dresse la forêt des Cèdres de Dieu. Bien plus ancienne que les autres massifs, elle constitue un témoignage unique des forêts qui recouvraient il y a encore de cela plusieurs siècles le mont Liban.  En témoignent certains arbres, âgés de plus de 3000 ans, derniers survivants de l’époque préislamique, qui permettent de visualiser dans quel environnement les civilisations antiques ont vécu. Très intégré dans l’esprit national libanais, le site est inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1998.

Suite à une prise de conscience par la population de la disparition progressive des forêts libanaises, le gouvernement a décidé de mettre en œuvre de vastes plans de sauvegarde et d’établir plusieurs parcs nationaux pour préserver et démultiplier l’implantation du Cèdre sur son territoire. La réserve naturelle du Chouf, s’étendant sur les versants du mont Barouk, représente la plus importante réserve de biosphère du pays (5,3% du territoire). Créée sous l’impulsion de l’Organisation des Nations Unies en 1994, reconnue réserve de biosphère par l’Unesco en 2005, le site symbolise la volonté de préservation du Cèdre par les pouvoirs publics libanais. La réserve présente aujourd’hui la plus forte concertation de Cèdres du pays, ce qui a favorisé le développement d’un éco-tourisme dans la région.  

Victime de siècles de déforestation et plus récemment du changement climatique, l’emblème national doit depuis la fin des années 1990 faire face à une nouvelle menace : les Cephalcia tannourinensis. Profitant du réchauffement des températures dont les montagnes libanaises ne sont pas épargnées, ce petit insecte s’est démultiplié dans la région, entrainant progressivement l’affaiblissement puis la mort des Cèdres. L’Arz Tannourine, réserve naturelle du nord du Liban, riche de ses 60 000 Cèdres du Liban historique, a ainsi perdu ces 12 dernières années 7,5% de ses arbres suite à cette prolifération. Ce phénomène a été souligné par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) qui a classé le Cèdre du Liban sur la liste des espèces vulnérables.

Alors que plus de 1200 hectares de forêts ont été ravagés par les flammes durant les récents incendies, d’ambitieuses politiques de préservation du riche mais néanmoins fragile patrimoine naturel libanais sont à entreprendre. A travers la sauvegarde du Cèdre, c’est avant tout la défense d’un emblème national rassembleur pour le Liban qui, en ces temps de crise, se doit d’ouvrir toutes les possibilités pour favoriser et renforcer une certaine idée de la cohésion nationale.


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