Le 07 /11/2019 par Victoire Haya Daher et Ilham Younes
A l’image des incendies dévastateurs qui ont atteint plusieurs régions boisées du pays au début du mois d’octobre, le Liban traverse aujourd’hui une crise politique et sociale majeure. Comme un signal d’alarme, le patrimoine naturel et culturel libanais d’une immense richesse est lourdement menacé.
Un patrimoine riche et diversifié
Pays minuscule du Proche-Orient, le Liban, d’une superficie de 10 000 km2 est pourtant unique. En effet, malgré sa petitesse, le Liban présente une formidable diversité régionale notamment grâce à ses reliefs et à ses contrastes climatiques. A cette diversité géographique, s’adjoint une riche variété d’espèces animales et végétales notamment présente dans la région du Chouf qui s’étend sur une superficie de plus 550 km2. A titre d’exemple, selon des études sur la biodiversité effectuée au Liban en coopération avec le Fonds des Nations Unies pour l’environnement (GEF) plus de 9000 espèces de plantes et d’animaux ont été répertoriées. Elles ne formeraient que 20% des espèces existantes.
Cette diversité on peut également l’apprécier à travers les sites libanais inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO parmi lesquels figurent les suivants :
- Tyr et Byblos (situés sur la côte) inscrits en 1984
- Baalbek et Anjar (situés dans la plaine) inscrits en 1984
- Cèdres et Qadisha (situés dans la montagne) inscrits en 1998
Les cités historiques de Tyr et de Byblos, situées sur la côte offrent toutes deux un témoignage remarquable des débuts de la civilisation phénicienne (peuple sémitique de l’antiquité).
Baalbek et Anjar situées dans la plaine de la Bekaa témoignent respectivement par leurs vestiges romains et omeyyades du passage de grandes civilisations au sein de cet espace stratégique.
Les sites de la vallée de la Qadisha et la forêt des Cèdres sont quant à eux situés au nord de la chaîne du Mont Liban et symbolisent le cœur spirituel du pays à travers l’implantation de nombreux édifices chrétiens.
Ces sites, d’une valeur universelle exceptionnelle, symbolisent par leur diversité un héritage naturel et culturel unique dans toute la région du Proche-Orient. A fortiori, ils sont au cœur de l’identité libanaise et participent à la construction d’un sentiment d’appartenance à une nation. La dégradation de ces sites est également symptomatique d’un malaise plus profond qui participe au délitement de l’identité libanaise. En écho aux révoltes populaires, ces sites font face à de nombreux enjeux : pollution, pression urbaine, manque d’entretien et bataille des idéologies.
Comme un signal d’alarme, les incendies ravageurs du mois d’octobre 2019 ont permis une prise de conscience collective de l’importance de la préservation du paysage naturel et culturel libanais.
Des enjeux multiples
Le relief libanais a une histoire complexe et la gestion de ses ressources nécessite une bonne vision d’ensemble et une excellente connaissance du terrain. Il est toutefois important de noter le rôle central de l’empreinte de l’homme dans la construction de ces paysages. Cette influence a contribué à modeler la perception des sites du patrimoine libanais notamment religieux. La mise en valeur du patrimoine libanais reste donc tributaire des conflits de valeurs et d’idéologies dont il est l’objet. C’est le cas de la métropole beyrouthine. Confrontée à de nombreux enjeux notamment environnementaux : expansion urbaine, pollution atmosphérique, mauvaise gestion des déchets, Beyrouth est un exemple paradigmatique du malaise dans lequel se trouve le patrimoine naturel et culturel libanais.
L’exemple du Bois des pins «Horch Beyrouth», véritable poumon vert de la ville, illustre bien ce phénomène. Au cœur des débats et des discussions depuis plusieurs années, le seul véritable espace vert de la ville peine à s’intégrer dans le paysage naturel de la capitale. Autrefois, véritable forêt, le bois est désormais entouré d’axes routiers et menacé par de nombreux projets immobiliers. Après plus de vingt-cinq années de fermeture au public, le parc s’ouvre à nouveau partiellement en 2015 puis sous la pressions d’associations totalement en 2016. Des horaires d’ouvertures contraignants rendent toutefois son accès difficile questionnant ainsi la volonté politique d’intégrer cet espace au cœur de la vie des beyrouthins.
Les autres villes frontalières et excentrées ne sont pas épargnées, les enjeux et inégalités socio-économiques sont également très importants accompagnés d’une expansion urbaine très rapide.
La pression urbaine très forte, l’absence d’entretien alliées à une faible prise de conscience globale au niveau du pays favorisent la dégradation du patrimoine naturel et culturel libanais. Les incendies dévastateurs qui ont ravagé le pays du nord au sud en sont le parfait exemple. Cet épisode est l’un des plus dévastateurs dans l’histoire du Liban. Ainsi, le 14 octobre 2019, une série d’incendies se déclarait dans la région du Chouf, située au sud Liban. Véritable catastrophe écologique, les incendies dévastateurs ont détruit plus du double du nombre d’arbres normalement détruits par les incendies annuels. Selon le Conseil national de la recherche scientifique (CNRS) au Liban, les zones touchées dans le district de Chouf (sud) sont d’environ 12,7 km2, celles du Gouvernorat d’Akkar (nord) de 3 km2. George Mitri, directeur du programme sur les ressources naturelles de l’Université de Balamand, a récemment estimé que 1 300 à 1 500 hectares de forêt avaient été perdus en 48 heures : « En plus des 1 300 hectares déjà perdus cette année, cela signifie que le pays a doublé sa perte annuelle de forêts en moyenne. ». Le ministre sortant de l’Environnement, Fadi Jreissati, a quant à lui appelé la population à travailler ensemble pour soutenir les efforts de reboisement.
Les outils et moyens de protection des sites naturels libanais
Face à ces enjeux, un certain nombres d’outils ont été mis en place. Insuffisants et limités face aux situations d’urgence, ces moyens de protection traduisent le manque d’implication gouvernementale sur ces questions. En 2018, un groupe indépendant et volontaire de scientifiques, universitaires et experts en catastrophes était créé : ARAB Stag (groupe arabe de la science et de la technologie pour la réduction des risques de catastrophes). Ce groupe joue un rôle de premier plan, en étroite coopération avec le CNRS, notamment dans l’élaboration d’une cartographie des risques. Sa mission première : intégrer les sciences et la technologie au service de la gestion des risques. Alors que le Liban subit régulièrement des catastrophes naturelles : crues soudaines, incendies de forêt, avalanches et glissements de terrain, les projets de l’Arab Stag en partenariat avec le CNRS libanais sur la cartographie des risques sont essentiels.
Du point de vue de la société civile, l’engagement reste timide. Hormis des manifestations et des actions de luttes ponctuelles contre le réchauffement climatique orchestrées par les jeunes générations, aucune action officielle n’a été enregistrée effectivement. Toutefois, des associations se mobilisent sur le terrain. C’est le cas de l’Association pour la protection du patrimoine libanais (APLH) basée à Zouk Mosbeh créée en 2010 par un groupe de militants. Celle-ci a pour but de préserver et de promouvoir les valeurs historiques, culturelles et le patrimoine urbain au Liban (y compris les espaces publics), qui est de plus en plus menacé de destruction en raison d’une urbanisation effrénée. Depuis 2012, l’APLH a concentré ses efforts sur des manifestations publiques, des recherches scientifiques, des études techniques ou encore des actions en justice ciblées.
Face à cette situation d’urgence, il est évident qu’une nouvelle perspective est à adopter pour l’avenir du patrimoine naturel au Liban. Sans doute, des projets en réponse à des catastrophes sont à mettre en place par le gouvernement en étroite collaboration avec les instances scientifiques et la société civile afin d’apporter une réponse appropriée et par là même empêcher que des catastrophes similaires ne se reproduisent en élargissant les connaissances et en renforçant la résilience.