Le 10/11/2019 par Louis Poittevin de la Fregonnière

Isolée au milieu du désert Saoudien se trouve la région d’al-‘Ulâ. Située au nord-ouest de la péninsule arabique, la majestueuse vallée qui la traverse sur une trentaine de kilomètres constitue un des rares témoignages des civilisations préislamiques qui ont occupé l’Arabie il y a de cela plusieurs millénaires. Le site contraste entre des oasis verdoyantes et des falaises minérales de grès et de basaltes, vestiges de la riche activité volcanique ayant façonné les lieux.

La région est habitée continuellement depuis plus de 7000 ans. Les populations ont su tirer profit des ressources en eaux souterraines dans une région particulièrement aride, où le climat n’était pas propice à l’établissement d’une agriculture pérenne et à l’implantation d’élevages. Cette occupation, continue depuis des millénaires, nous délivre aujourd’hui tout un ensemble de témoignages de ces civilisations méconnues, empreintes d’un temps révolu réparties sur les nombreux sites archéologiques qui composent la vallée.

Al-‘Ulâ se singularise par sa spécificité en constituant un point de rencontre des civilisations au carrefour de la péninsule arabique, du monde oriental et du bassin méditerranéen. L’emplacement géographique stratégique couplé à la particularité naturelle de la vallée furent des éléments propices à l’établissement de quatre principales entités politiques précédant l’ère islamique : la civilisation Dadanite et Lihyânite, le royaume nabatéen et la cité de Qurh. Ces civilisations nous laissent de véritables merveilles architecturales qui démontrent quelle fut leur ingéniosité technique et artistique. La redécouverte des lieux par des explorateurs européens au milieu du XIXème siècle et par l’arrivée de scientifiques et d’archéologues au cours des années 2000 permet de mieux percevoir la valeur universelle exceptionnelle du site.

Du VIIIème au Ier siècle avant J.-C., le royaume de Dadan puis de Lyyân monopolisaient la vie économique dans la région. De nombreux vestiges architecturaux sont encore visibles, traces de deux civilisations ayant dominé al-‘Ulâ pendant plus de sept siècles. Les nombreuses inscriptions rupestres laissées par les habitants ont permis de reconstituer le dadanite, alphabet aux caractères relativement géométriques employé durant cette époque.

Souhaitant déplacer les frontières de leur royaume vers les ports de la mer Rouge, les Nabatéens, peuple de commerçants caravaniers, se sont installés dans la vallée et y ont fondé Hégra vers le milieu du Ier siècle avant J.-C.. Le commerce maritime prenant une part sans précédent dans l’activité économique de la région, la fondation d’Hégra suivant le modèle de Pétra en Jordanie venait répondre à ce nouveau marché prolifique.

Les Nabatéens laisseront en héritage une architecture caractéristique à travers les 94 tombeaux aux façades décorées qui composent la vallée. Taillés directement dans la roche, ils représentent les vestiges les plus symboliques des civilisations antiques ayant occupé les lieux. La cité d’Hégra, considérée comme la lointaine « sœur jumelle de Pétra » est « un exemple exceptionnel de la qualité de l’architecture des Nabatéens et de leur maîtrise des techniques hydrauliques » comme le souligne l’Unesco.

Avec l’arrivée de l’ère islamique au VIIème siècle après J.-C., la vallée d’al-‘Ulâ, historiquement située sur la route du commerce caravanier, va progressivement se transformer en un lieu de passage obligé pour les pèlerins en destination des grands lieux saints de l’Islam. Venus d’Egypte, de Syrie et d’ailleurs, les nombreux fidèles bénéficieront pendant plusieurs siècles des ressources en eaux qu’offrait la région, faisant de la vallée un lieu de halte et d’approvisionnement fondamental. C’est dans ce contexte que fut établie la cité Qurh au sud de la vallée. Elle fut considérée comme une des premières villes musulmanes d’Arabie, tirant profit du passage humain dans la cité et de l’activité commerciale qui en était engendrée.

L’arrivée de l’Empire Ottoman au cours du XVIème siècle vient souligner l’importance géostratégique de la vallée. Le sultan Abdülhamid II décida de construire une ligne de chemin de fer entre Damas et La Mecque pour permettre d’effectuer le voyage en seulement trois jours contre une quarantaine à l’époque des caravanes. L’objectif fut aussi de permettre une sécurisation des routes du pèlerinage et d’une mobilisation plus rapides de l’armée ottomane en cas d’insurrection de la péninsule arabique. À la suite du démantèlement de l’Empire Ottoman au lendemain de la Première Guerre mondiale, la ligne de chemin de fer fut définitivement fermée en 1920, bien que des vestiges soient encore visibles dans la vallée.

Il faudra attendre 2008 pour que le site archéologique de Madâin Sâlih (présent au sein d’al-‘Ulâ) soit inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Il devient alors le premier site d’Arabie Saoudite à recevoir ce titre. Ce fut le fruit d’une nouvelle politique amorcée par le royaume Saoudien pour promouvoir le tourisme dans le pays et favoriser l’attractivité de la péninsule. Réputée pour la richesse de ses ressources fossiles, l’Arabie Saoudite cherche à se donner une nouvelle image en mettant en lumière son patrimoine matériel, naturel et immatériel jusqu’alors peu connu du grand public. Cet outil de la diplomatie culturelle saoudienne bénéficie de l’expertise française et a pour objectif une mise en valeur de la région.

Pour autant, ce sont les habitants qui représentent aujourd’hui les principaux ambassadeurs d’al-‘Ulâ en préservant leurs traditions et leur patrimoine. Leurs témoignages permettent de mieux cerner la spécificité de leur vallée et de tenter de répondre aux nombreux mystères qui y persistent. Alors qu’environ 5% de la zone aurait été fouillée, al-‘Ulâ représente un des derniers grands chantiers archéologiques dans le monde et un des rares espaces relativement préservé du monde moderne.


Pour aller plus loin :

https://whc.unesco.org/fr/list/1293

https://www.imarabe.org/fr/expositions/alula-merveille-d-arabie

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