Épisode 2 : Une réinvention de la possession féminine

Le 08/07/2020 par Selma Laghmara

Palestinian Traditional Costumes Gallery

Si les femmes se voient confier le rôle de dépositaires de la mémoire et des savoir-faire palestiniens, cette responsabilité demeure trop souvent circonscrite à un aspect extrêmement réduit du patrimoine : “Ces activités féminines de création et de transmission du patrimoine s’accordent avec les représentations sociales traditionnelles car elles sont exercées dans la sphère privée.” Ce que la chercheure Syreen Forest évoque ici, c’est la façon dont les femmes sont dépossédées de leurs créations; il y a une invisibilisation du travail et de l’artisanat féminin ; qui est bien souvent dissimulée derrière le mythe d’une nécessité domestique, limitant l’action féminine au foyer.

Cependant, le travail féminin de la terre et de ses ressources s’est récemment affirmé comme une manière, à la fois de retrouver une ingéniosité, une « agentivité » féminine, mais également comme une nouvelle façon de se réapproprier la terre. L’investissement féminin est un investissement créatif, lié, non plus à l’idée d’une domestication agressive et castratrice, mais à celle d’une valorisation d’un patrimoine existant. Il y a quelque chose d’intimement féminin dans la nature même de ces entreprises de protection patrimoniale qui se pensent avant tout dans une logique de préservation et de prolongement d’un discours politique qui soit celui de l’apaisement mais également de la résistance. 

Les femmes du village de Battir, en Palestine, ont joué un rôle crucial dans la protection de son système d’irrigation unique, (permettant historiquement de répartir équitablement l’eau entre les familles du village), mais également dans l’inscription de ce site, au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2014.

Battir, © Centre for Cultural Heritage Preservation

Au-delà des liens mythologiques qui relient les femmes palestiniennes à leur espace, à leur terre, ces dernières jouent également un rôle fondamental dans la préservation d’un patrimoine rural et urbain. La femme se pense désormais comme médiatrice sociale et force organisatrice des foyers et des communautés. Intrinsèquement associée à une dimension préservatrice et fondatrice : les femmes deviennent des instances de conservation patrimoniale mais également de pacification.

Les missions semblent s’agencer naturellement autour de marqueurs symboliques forts de la féminité palestinienne ; Il y a quatre ans, à Kafr Malek, village occupé par Israël depuis près de 50 ans, Mountaha Baïrat et cinq autres femmes investissent des ruches. Avec 600 kg de miel produit par an, cette activité représente une véritable manne financière pour ces mères de famille, qui acquièrent ainsi une légitimité sociale et culturelle au travers de leur engagement : “J’adore l’apiculture. C’est ce que j’aime le plus, après mes enfants.”, “Grâce au miel, une des femmes a pu payer les frais pour inscrire son fils à l’université et une autre s’est acheté la télévision dont elle rêvait”.

Par ailleurs, d’un point de vue symbolique l’imaginaire moyen-oriental associe l’abeille à la fécondité et l’abondance ; c’est une figure autonome et indépendante, mais également figure laborieuse et séminale. Il s’agit ici, de renouer avec l’idée d’un territoire fécond ; un territoire qui au-delà, des tensions et des enjeux de possession, puisse être une source de vie, de richesse, et d’émancipation.

Derrière cette revalorisation du territoire palestinien se dessine une attention nouvelle portée au développement d’un savoir-faire féminin. D’une fossilisation mythologique à l’apparition d’une véritable économie féminine, les femmes palestiniennes ont su réinvestir leur rôle de nourrices et de garantes culturelles au travers d’entreprises concrètes de préservation du patrimoine matériel et des savoirs faire ruraux. Il n’est plus question ici, de créer à grand renfort industriel et technique mais de protéger, réhabiliter, soigner et réparer. Une logique du soin qui peut paraître caricaturale mais qui présente néanmoins le mérite d’offrir une alternative à la modernisation à marche forcée du monde agricole. 


  1. Syreen Forest, « Les femmes et la préservation du Patrimoine au Proche-Orient », 24/06/19
  2. https://whc.unesco.org/fr/list/1492/
  3. Article du journal La Croix, datant du 22 juillet 2016: “Cisjordanie: les abeilles changent la vie de Palestiniennes”

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