13/11/2022 par Amel Aït-Hamouda
S’ouvrant sur un spectacle infini entre ciel, terre et mer, le site de Tipasa de Maurétanie mêle différentes civilisations traversées par la Méditerranée. Avec son ensemble unique de vestiges phéniciens, romains, paléochrétiens, byzantins et embrassant la civilisation numide à travers le Mausolée royal de Maurétanie, le lieu a donné naissance à plusieurs joyeux archéologiques.
Et c’est au sein de ces incontournables monuments que nous vous y proposons de déambuler afin de retrouver l’histoire de Tipasa où les siècles semblent suspendus.
Une ville antique riche
Ensevelie durant des siècles sous un drap de sédiments, Tipasa de Maurétanie fut redécouverte au XIXe siècle. Ses vestiges dévoilés livrent, au fur et à mesure, son passé glorieux.
Né comptoir carthaginois au Ve siècle av. J.-C., son premier rôle fut d’être une escale maritime. Situé entre l’Orient et l’Occident, le nom Tipasa signifierait ainsi « passage »[1] en phénicien. Le lieu prospéra jusqu’à atteindre son apogée sous l’Empire romain au point d’être élevé au rang d’une colonie romaine.
Au cours du IIIe et du IVe siècle, un essor chrétien exceptionnel s’exprime par de nouveau monuments religieux riches de par leurs ornements en mosaïques qui illustrent des scènes de vie quotidienne et religieuses. Lors de l’invasion vandale en l’an 430, la cité perdra tout son prestige jusqu’à sombrer dans l’oubli. Tel un phénix qui renaît de ses cendres, Tipasa de Maurétanie sera reconquise par les Byzantins en l’an 531 et son économie reprendra de l’essor.
Au cours du XXe siècle, l’archéologie et la littérature feront resurgir Tipasa. C’est à travers le majestueux essai Noces à Tipasa d’Albert Camus (1913-1960) que les lieux écloront en une ode à la nature pour célébrer « les noces de l’homme avec le monde ».
À l’instar des villes romaines, Tipasa de Maurétanie est traversée par deux grandes voies principales : le decumanus maximus et le cardo. La première consiste en un prolongement de la route qui reliait Icosium[2] à Césarée[3] ; la seconde en une inclinaison vers la mer sous la forme d’une voie perpendiculaire orientée Nord-Sud.
Tipasa abrite en son sein deux parties : l’une, en dehors des murs, à l’est de la grande nécropole implantée sur la colline de Salsa, qui accueille la basilique de la sainte Salsa, et l’autre, depuis le parc archéologique, qui dénombre différents monuments tels que l’amphithéâtre, les deux temples, la basilique judiciaire, le forum, la villa des fresques ou encore le nymphée. Afin de couronner ce décor pluri-civilisationnel, une stèle fut érigée, en 1961, à la mémoire d’Albert Camus par ses amis à l’extrémité du parc archéologique.
La ville antique et ses principaux édifices
La basilique de sainte Salsa
La basilique Sainte-Salsa est chrétienne, mais à chaque fois qu’on regarde par une ouverture, c’est la mélodie du monde qui parvient jusqu’à nous : coteaux plantés de pins et de cyprès, ou bien la mer qui roule ses chiens blancs à une vingtaine de mètres. Albert Camus, Noces
À 300 mètres des remparts se dresse, au sommet de la colline, l’envoûtante basilique de sainte Salsa[4].
Lors de la première moitié du vie siècle, le lieu atteignit 30 mètres de long. À l’intérieur, l’église rectangulaire est formée d’une nef centrale de 7,50 mètres de large. On trouve une tombe surmontée par un cippe de forme semi cylindrique appartenant à Fabia Salsa, une matrone qui serait l’une des ancêtres de la sainte. Sur le sol, devant la tombe, une inscription trouvée en langue latine en hommage à la sainte se traduit comme suit : « Dans ce lieu où brille le saint autel repose la martyre Salsa, toujours plus douce que le nectar qui a mérité d’habiter au ciel, en plein béatitude. »
Les bas-côtés collatéraux sont surmontés de tribunes dont les escaliers existent toujours. Au nord, une petite porte ouverte dans le mur mène à l’area martyrum, le « cimetière des martyrs ». Subsiste, près de la basilique, un baptistère surmonté d’une terrasse et orné d’un bassin en pierre entourée de cinq colonnes.
L’amphithéâtre
Construit tardivement au IIIe siècle à l’emplacement d’une ancienne nécropole, l’amphithéâtre est le premier monument ouvrant le bal du parc archéologique.
Dédié aux spectacles de gladiateurs, un grand mur bordait l’arène afin de protéger les spectateurs lors des représentations de lions. L’amphithéâtre comptait deux portes principales et trois portes secondaires. À l’extrémité du petit axe se trouvait un sacellum, pour l’adoration des divinités romaines. Actuellement, seule la partie nord du monument est dégagée, ce qui laisse apparaître les gradins détruits, les hauts murs limitant l’arène, les deux portes
Les deux temples
Non loin de l’amphithéâtre siégeaient plusieurs temples ainsi qu’un arc monumental à quatre baies dont on ne conserve plus que les soubassements. Il s’élargissait vers l’est pour former une grande place avec deux temples encore visibles aujourd’hui.
Le temple anonyme
Sur les lieux, les archéologues ont trouvé la jambe d’une statue de divinité dont l’identité sauvegarde précieusement son mystère. Le lieu prit alors le nom de « temple anonyme ».
On y entrait auparavant par trois portes qui s’ouvraient sur la place engendrée par un élargissement du decumanus maximus. La cour était également décorée d’un triple portique. Le temps a su préserver le podium ainsi qu’une partie de l’escalier d’accès menant à la cella.
Le nouveau temple
Daté de la fin du IIe siècle ap. J.-C. et en meilleur état de conservation que son voisin, le nouveau temple est également constitué d’un podium et d’une cour bordée d’un portique et présente le même agencement en ce qui concerne l’entrée, la cour, le portique et la cella.
La basilique judiciaire
En contrebas, au-delà du cryptoportique (galerie couverte) se trouvait la basilique judiciaire. De construction hellénistique et datée de la fin du Ier siècle de notre ère, l’édifice comprend trois nefs séparées par deux rangées de colonnes.
Outre son rôle de faire régner la justice, la basilique judiciaire animait la vie économique de la cité. Dégagée au début du XXe siècle, on y retrouva la mosaïque des captifs[5] représentant des hommes accroupis et prostrés.
Le forum
Entre les oraisons funèbres des praticiens[6], la présidence du conseil municipal et les célébrations des sacrifices, le forum de Tipasa représentait le cœur vital de la ville antique.
Le bâtiment est constitué d’une place piétonnière dallée de 50 mètres de long et de 25 mètres de large. En bordure du forum se constituait une multitude de boutiques.
La villa des fresques
Son nom, « villa des fresques », fait référence aux fragments de peinture murale qui l’agrémentait. Immense, la bâtisse couvre une superficie d’environ 1000 m2. On y pénètre par une porte cochère, doublée d’une entrée pour piétons, qui donne sur le portique du cardo. Le charme poétique de la villa réside principalement dans deux pièces : l’oecus (salon) etle solarium qui offraient une vue imprenable sur la mer et sur les thermes privés.
La grande basilique chrétienne
Édifié au IVe siècle, l’établissement religieux de plus de 57 mètres de long était composé de neuf nefs. De la grande basilique chrétienne subsistent quatre arcades et des chapiteaux corinthiens ponctuant le revêtement de la nef centrale. Son sol était revêtu d’une immense mosaïque géométrique. La basilique était jouxtée par une chapelle, un baptistère, des bains, la maison de l’évêque et un consignatorium.
Le théâtre de Tipasa
C’est à l’extrémité ouest du decumanus que se lève le théâtre de Tipasa. Construit au début du IIIe siècle, le monument fait partie des luxueux travaux entrepris après l’obtention du titre de colonie de Rome. Néanmoins, le théâtre correspondait davantage à un plan architectural grec. Composé de trois gradins avec un orchestre semi-circulaire, on y accédait par des passages souterrains qui débouchaient devant la scène. L’espace pouvait accueillir jusqu’à quatre mille spectateurs. Le théâtre fut mutilé en 1847 pour des besoins urgents de construction de l’hôpital de Marengo, à cause de l’épidémie dévastatrice de choléra.
De nos jours, il ne reste que l’orchestra, les trois premières rangées de gradins, le vomitoire ainsi que les piliers supportant le plancher de la scène.
Le nymphée
De forme semi-circulaire, son architecture offrait un tableau féerique où l’eau ruisselait en cascade. Le monument consacré aux nymphes fut découvert par l’archéologue Adrien Berbrugger sur le terrain d’un colon français du nom de Trémaux. Aujourd’hui, il ne reste que des vestiges de colonnades de marbre bleu et d’un revêtement de marbre polychrome. Néanmoins, l’aqueduc, qui se trouve derrière le nymphée, est toujours visible.
Tipasa de Maurétanie fut telle une muse immortelle des architectes et des sculpteurs. La verdure de sa flore et l’azur de sa mer ont inspiré artistes et peintres tels Jacques Simon et Eugène Corneau.
Lors de son inscription au patrimoine mondial de l’humanité en 1982, l’UNESCO décrit le site de Tipasa comme : « l’un des plus extraordinaires complexes archéologiques du Maghreb ». Son site archéologique reflète sensiblement les différents contacts civilisationnels entre les constructions nord-africaines et les vagues coloniales du VIe siècle avant J.-C. au VIe siècle de notre ère.
Visiter la cité où déesses et dieux d’Orient et d’Occident se sont croisés serait caresser la splendeur civilisationnelle nord-africaine et chevaucher une Algérie pluri-patrimoniale.
Crédit photo couverture : ©AlJazaer https://www.aljazaer.com/ruines-de-tipaza/
POUR ALLER PLUS LOIN
BARADEZ, Jean, 1952, Tipasa. Ville antique de Maurétanie, Alger, Direction de l’Intérieur et des Beaux-Arts.
BOUCHENAKI, Mounir, 1988, Tipasa. Site du Patrimoine mondial, Alger, ENAG/éditions.
DUVAL, Pierre-Marie, 1946, Cherchel et Tipasa. Recherches sur deux villes fortes de l’Afrique romaine, Paris, Geuthner.
GSELL, Stéphane, 1926, Promenades archéologiques aux environs d’Alger, Paris, Les Belles-Lettres.
[1] Selon d’autres historiens, le mot Tipasa provient du mot amazigh « tafsa » signifiant : grès désagrégés.
[2] Nom donné à la ville d’Alger sous l’Empire romain
[3] Césarée de Maurétanie, actuelle Cherchell, ancienne capitale du roi amazigh Juba II.
[4] Au début du christianisme, une adolescente pieuse prénommée Salsa (ou Malha, en amazigh) refusa de participer à une fête païenne et alla jusqu’à briser la tête de l’animal adoré. Au lendemain de son acte, Salsa fut condamnée par lapidation puis jetée dans la mer. Soudain, une forte tempête se souleva et durera des semaines jusqu’à ce qu’un marin émerge le corps de la petite sans âme. La martyre sera transportée vers une chapelle qui portera plus tard le nom de : la basilique sainte Salsa.
[5] La mosaïque des captifs se trouve actuellement au musée archéologique de Tipaza
[6] Citoyens appartenant à la classe supérieure
3 comments
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