Le 31/10/2019 par Ilham Younes
A l’image d’une identité qui se meut, se modèle et se déconstruit sans cesse, Beyrouth est caractéristique d’une ville en perpétuelle reconstruction. Des destructions liées à la guerre aux renaissances multiples, la ville de Beyrouth est un exemple paradigmatique de l’état de mouvance et d’incertitude dans lequel le pays est symboliquement plongé depuis le 17 octobre 2019.
Beyrouth, c’est avant tout l’histoire de tant de civilisations qui s’y sont succédées, au total, plus de dix-sept civilisations successives. D’abord grecque, romaine, arabo-musulmane, turque puis sous influence européenne avec le mandat français, Beyrouth est un agrégat de toutes ces empreintes qui ont traversé les siècles. Sa capacité à se relever est peut-être liée à un épisode si particulier de son histoire. En effet, en 551 apr. J.-C, après un fort séisme suivi d’un raz de marée, Beyrouth est presque entièrement détruite. Seul un tiers des habitants survit à ce cataclysme. Au fil des conquêtes, la ville renaît progressivement et s’enrichit des occupations successives. Des vestiges uniques de la période phénicienne, en passant par l’héritage d’édifices grecs et romains, Beyrouth détient d’innombrables joyaux, témoins d’une mosaïque culturelle si spéciale. Ce spectre de la destruction liée, entre autres, aux aléas naturels et historiques de la région est inscrit au cœur même du patrimoine historique et culturel libanais. Il est à la fois synonyme de perte et d’effacement mais également de renouveau.
La guerre qui a ravagé le Liban pendant une quinzaine d’années (1975-1990) n’a pas échappé à ce phénomène. Beyrouth, ravagée, meurtrie, exsangue s’est relevée aux dépens de lourdes pertes patrimoniales. En imposant un plan de reconstruction de la ville sur une échéance courte au détriment du temps long que nécessité le travail archéologique de terrain, la ville a perdu son essence même. Élaborés hâtivement et unilatéralement, les projets de construction lancés par le gouvernement libanais n’ont pas permis, au sortir de la guerre, une préservation et un sauvetage efficace des biens culturels. Pire, ils ont favorisé l’effacement du creuset culturel et identitaire qui faisait la particularité de la ville.
Aujourd’hui, les mouvements contestataires donnent l’occasion aux libanais de se réapproprier leur patrimoine. On le voit dans la capitale, des bâtiments historiques sont occupés, comme pour signifier l’importance et l’appropriation d’un patrimoine commun à tous car au fond : « Beyrouth dispense une histoire qui appartient à tous les libanais de quelque communautés qu’ils soient » (…) « Car les Libanais, qu’ils soient Chrétiens, Druzes ou Musulmans, ne sont-ils pas tous, tout à la fois, Phéniciens, Perses, Romains, Grecs, Byzantins, Arabes, Croisés, Fatimides, Mamelouks, Ottomans, pour être enfin eux-mêmes tels qu’ils sont ?» [1].