Le 24/05/2019 par Syreen Forest

1932, Palestine

Dès les premiers soubresauts du nationalisme en Tunisie, le penseur et homme politique tunisien, Abdelaziz Thaalbi (1876-1944), plaçait la femme au centre de la société : « La femme est la gardienne de la famille, la conservatrice de la société »[1]. Abdelaziz Thaalbi n’était pas le seul à partager cet avis. Ce rôle social assigné aux femmes, érigées en gardiennes des traditions, des coutumes, de la langue, de l’identité – de la culture d’une société dans son ensemble – est un topos récurrent dans l’imaginaire social et politique. Dans ce cadre, les femmes sont perçues comme les principaux vecteurs de transmission de ce patrimoine culturel dont le but est de produire et de reproduire les communautés nationales.

Le patrimoine culturel en question évoque, en premier lieu, ce que l’UNESCO définit comme étant le patrimoine culturel immatériel : les traditions orales et le savoir-faire nécessaires à l’artisanat traditionnel, entre autres, autant d’outils et de pratiques qui visent à préserver l’unicité d’un ensemble de pratiques culturelles et d’en faire un patrimoine vivant [2]. Dans ce cadre, le rôle des femmes est traditionnellement associé à l’artisanat et aux arts traditionnels comme la tradition orale, la couture ou encore la broderie.

Pour sa part, le patrimoine matériel est défini comme faisant partie intégrante du patrimoine culturel et porte sur les monuments, les ensembles et les sites, selon la Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel de 1972 [3]. En sa qualité reconnue de marqueur d’identité tangible et de vecteur de transmission pour les générations présentes et futures, le patrimoine matériel est aussi lié au topos de la femme gardienne des traditions et des valeurs. De cette mission supposément naturelle des femmes découlerait son rôle de contributrice à la vie culturelle ainsi que sa capacité d’insuffler une vie nouvelle au patrimoine, sur la base d’une interprétation unique de sa valeur. Pourtant, la réalité est toute autre : si les femmes sont les principales consommatrices de biens culturels à travers le monde, elles sont inégalement représentées au sein de certaines professions culturelles, et notamment aux postes de responsabilité [4].

C’est sur la base de ce constat que se pose la problématique des droits culturels et du genre, et notamment le rôle spécifique des femmes dans la préservation du patrimoine au Proche-Orient. Ces réflexions nous invitent à nous interroger sur les motivations, les actions et les difficultés spécifiques des femmes dans leur mission de préservation du patrimoine.

Le cadre de ces réflexions porte principalement sur le patrimoine matériel au Proche-Orient ainsi que sur le patrimoine en péril. Il est question du patrimoine et de sa revalorisation constante, de la signification que les hommes et les femmes lui assignent et des cadres institutionnel et sociétal qui favorisent ou entravent la participation des femmes aux activités de création et de préservation du patrimoine.

Le patrimoine au Proche-Orient : définitions et historicité 

En dépit des définitions institutionnelles qui semblent dépeindre le patrimoine comme un objet figé, la relation vivante entre les communautés et leurs biens culturels ne saurait être sous-estimée. Ceci est vrai notamment du fait du processus d’identification d’un individu à une communauté à travers des références culturelles communes. Ces références culturelles –un monument à forte valeur symbolique tel le Dôme du Rocher à Jérusalem pour les Palestiniens et la communauté des musulmans par exemple – deviennent les dépositaires de la mémoire collective qui relient les individus d’une communauté entre eux. Ces références communes permettent donc de tisser des liens interpersonnels, renforcés par les valeurs de transmission et de filiation attribués aux biens culturels, et de produire et reproduire des identités.

La notion de droits culturels vient appuyer la contribution de chaque individu à faire vivre leur patrimoine. Cette notion recouvre le droit de tous de jouir des libertés culturelles, linguistiques, artistiques et éducatives. Elle comprend notamment le droit de contribuer et de participer à la vie culturelle, y compris l’accès au patrimoine ainsi que sa préservation et à sa revalorisation. Etant donné que toute identité et les références culturelles qui s’y rapportent procèdent de choix unique à une personne, le patrimoine se voit assigné un sens et une valeur propres par chaque communauté. De cette réalité découle la nécessité de conférer des droits culturels à tous, y compris aux femmes, afin de faire vivre les biens culturels en conformité aux représentations des communautés locales.

Il est important de replacer ces droits culturels, et principalement leur négation, dans une perspective historique. Longtemps, les communautés locales et nationales se sont vues privées de participer activement à faire vivre leur patrimoine national. L’assise de l’hégémonie des autorités coloniales et mandataires sur les sociétés arabes était non seulement consolidée à travers l’instauration de leurs propres institutions politiques, économiques et éducatives, mais aussi à travers la création d’institutions de préservation du patrimoine. Celles-ci assuraient ainsi aux Etats coloniaux le pouvoir de s’approprier le patrimoine des sociétés colonisées à des fins politiques et économiques. Ce patrimoine était ainsi façonné selon la vision orientaliste des puissances occidentales qui ancraient leur légitimité dans leur expertise technique.

Il existe une littérature considérable sur le thème du patrimoine en tant qu’instrument des politiques colonisatrices. Cette dimension n’étant pas le cœur de notre propos, elle ne sera évoquée que succinctement. A titre d’exemple, en Egypte, le Comité de Conservation des monuments de l’Art arabe en 1881 et le Musée de l’Art arabe en 1884 furent fondés à l’initiative des Britanniques. Ces lieux, en apparence dédiés à la conservation du patrimoine, s’avérèrent être un terrain propice à la lutte d’influence entre Etats européens. Les Egyptiens qui siégeaient au comité avaient peu de pouvoir de décision concernant la conservation de leur patrimoine, comme en témoignent l’embellissement de monuments historiques selon une vision orientaliste de l’arabité ou encore la destruction de bâtiments historiques autour de la mosquée Ibn Touloun au Caire afin de faciliter le tourisme [5]. Cette même logique fut appliquée par les Français : à Palmyre notamment, les villageois qui résidaient parmi les vestiges et avaient transformé les temples en mosquées furent chassés dans les années 1930 par la puissance mandataire afin de faire de la cité antique un site touristique [6]. En Egypte, il fallut attendre les années 1950 pour que des Egyptiens prennent la tête du comité et puissent enfin contribuer, selon leur vision propre, à faire vivre leur patrimoine.

Réinterprétation et valorisation du patrimoine selon les femmes

Les puissances occidentales purent refaçonner le patrimoine colonisé selon une logique commerciale et une vision orientaliste. A l’ère postcoloniale, les mouvances nationalistes ont aussi fait leur la sphère du patrimoine, dans un mouvement de réappropriation de leurs biens culturels. Dans ce contexte politique, l’enjeu principal autour du patrimoine était de conférer une valeur renouvelée au patrimoine et, de ce fait, de redéfinir l’identité collective. Le patrimoine est donc non seulement source d’identification mais aussi sujet à interprétation, selon des représentations et des motivations subjectives. De même que des visions différentes, voire opposées, animaient les colonisateurs et les colonisés, les relations de genre influent sur la valorisation et la préservation du patrimoine.

Fatima Mernissi, sociologue marocaine et auteure féministe, évoque le rôle central de la femme dans la transmission du patrimoine culturel tout au long de son œuvre. Dans le Le Harem et l’Occident, Mernissi évoque la tradition orale des femmes marocaines comme vecteur de transmission culturelle à travers un conte que lui narrait sa grand-mère, celui de « La Dame à la robe de plumes » des Mille et Une Nuits [7].

Le conte a pour protagonistes Hassan al-Basri et une femme-oiseau, dont il s’éprend. Afin de la garder captive, al-Basri lui vole sa robe de plumes, avant que la femme-oiseau ne la trouve et s’envole, avec leurs enfants, vers son île natale de Wak Wak. Elle l’invite à la rejoindre mais, l’île étant légendaire, al-Basri ne la retrouve jamais. Mernissi nous informe que le conte écrit intitulé « Hassan al-Basri » et vraisemblablement retranscrit par un homme relate une histoire différente : Hassan al-Basri parvient à retrouver son épouse, ainsi que leurs enfants, et à les ramener à Bassorah en Irak. Le centre de gravité du conte n’est donc plus la femme-oiseau mais le protagoniste masculin. 

La question de l’interprétation sexospécifique du patrimoine, ici immatériel, est donc primordiale. La version orale du conte met en exergue le point de vue du personnage féminin et ses qualités propres, et notamment son caractère insaisissable et son désir de liberté, tandis que la version écrite met l’accent sur des attributs et des topoi traditionnellement masculins, i.e. la force de caractère et les actions victorieuses de reconquête. Ce qui est en jeu est donc l’interprétation subjective, et donc différente, du même patrimoine, ainsi que les modalités de transmission transgénérationnelle. En effet, assigner une valeur architecturale, identitaire ou esthétique endosse le rôle d’agent discriminant entre le patrimoine qui sera préservé et celui qui ne le sera pas. Ces interprétations sexospécifiques permettent la mise en valeur de différents aspects de ce patrimoine, ce qui influe nécessairement sur les décisions en termes de conservation du patrimoine. Dans ce contexte, les lecteurs du conte écrit n’auront pas accès à la même connaissance historique et culturelle que les auditeurs du conte oral, ce qui donne nécessairement naissance à des dynamiques d’identification plurielles. La question de la préservation du patrimoine n’est donc pas qu’une question matérielle ; elle dépend principalement de choix de tout ou partie d’une communauté.

Les femmes, désignées comme gardiennes de la société, ont-elles accès aux droits culturels sur le même pied d’égalité que leurs homologues masculins ? Peuvent-elles endosser un rôle actif et contribuer à la valorisation et la préservation du patrimoine ? Les femmes sont largement représentées au sein des professions culturelles et sont les premières consommatrices de biens culturels à travers le monde [8]. Selon les estimations de l’Institut de statistiques de l’UNESCO, au niveau mondial, au moins 45% des personnes exerçant des professions culturelles sont des femmes [9]. Néanmoins, ces chiffres ne traduisent pas la réalité selon laquelle les femmes jouissent d’un accès inégal aux droits culturels : les femmes restent sous-représentées à des postes qui impliquent un certain pouvoir de décision au sein des administrations, des musées et sur le terrain. De plus, les métiers afférant à la conservation du patrimoine sont sujets à une division du travail genrée : les hommes exercent des métiers hautement qualifiés, comme les métiers de la recherche, alors que les femmes se voient assignées des missions moins qualifiées qui renvoient à leur rôle social de transmission (éducatrices, guides touristiques) [10].  

Ces réalités indiquent que le domaine du patrimoine et les activités y afférentes n’existe pas indépendamment des autres sphères qui composent les espaces public et privé ; elle en fait partie intégrante. Les relations de genre, ainsi que les obstacles auxquels les femmes font face dans l’exercice de leurs droits économiques, ont des répercussions sur les représentations sociales des rôles que les femmes peuvent endosser. De nombreuses femmes exerçant des professions culturelles, et notamment dans le domaine de la préservation du patrimoine, évoquent des limitations liées aux préjugés liés au genre : selon ces témoignages, le déficit de légitimité et les tabous sociétaux sont les principales forces qui entravent leurs activités, principalement dans le cadre du travail de terrain. A titre d’exemple, en Tunisie, pays arabe à l’avant-garde de la promotion des droits des femmes depuis l’entrée en vigueur de son Code du statut personnel en 1956, le musée national du Bardo ne s’est doté de sa première femme conservatrice qu’en 1986, en la personne d’Aïcha Ben Abed [11].

Les femmes sont bel et bien perçues comme les dépositaires et les agents de transmission de la culture d’un peuple, mais ces qualités sont plus souvent associées à un aspect délimité du patrimoine, à savoir les arts traditionnels et l’artisanat [12]. Ces activités féminines de création et de transmission du patrimoine s’accordent avec les représentations sociales traditionnelles car elles sont exercées dans la sphère privée. En conséquence, les femmes, dans leur grande majorité, sont exclues de la prise de décision, exclusion reflétée dans les choix de préservation et de promotion du patrimoine.

Une renaissance culturelle : exemples de femmes à l’avant-garde de la préservation du patrimoine

Néanmoins, la recrudescence des conflits armés au Proche-Orient et leur impact sur le patrimoine ont permis aux femmes de gagner en légitimité et en visibilité dans le cadre de leurs activités de préservation du patrimoine. Le patrimoine en péril, en tant que marqueur d’identité, mobilise les acteurs de la coopération internationale ainsi que les communautés locales, au premier rang desquelles les femmes.

Suite à l’invasion américaine de 2003, l’Irak a vu son patrimoine détruit et pillé en masse. Si les images de la destruction massive de sculptures et d’artefacts au musée de Mossoul par Daesh en vertu de leur idéologie iconoclaste ont marqué les esprits, les musées et le patrimoine irakiens dans son ensemble n’ont cessé de subir des pertes incommensurables. A titre d’exemple, le musée national irakien à Bagdad s’est vu dépouiller d’environ 15000 objets lors du grand pillage d’avril 2003. Le musée doit sa réouverture en 2015 à une femme irakienne, archéologue et spécialiste des antiquités mésopotamiennes : Lamia al-Gailani-Werr.

Lamia al-Gailani-Werr a compté parmi l’une des premières femmes archéologues irakiennes. Après une formation d’excellence au sein d’universités en Irak et au Royaume-Uni, l’archéologue, dévouée à la préservation du patrimoine irakien depuis les années 1960, a pris la décision de rentrer en Irak et d’endosser le rôle de conseillère auprès du Ministère de la Culture lors des travaux de restauration du musée national irakien. En 2003, l’archéologue s’est rendue à Washington où elle a enjoint la communauté internationale à se mobiliser pour faciliter la restitution du patrimoine pillé. Ses actions de plaidoyer et de conseil institutionnel ont permis au musée national irakien de se voir restituer un tiers des artefacts qui avaient été pillés [13] . Connue et reconnue comme une « héroïne de l’archéologie et du patrimoine irakiens », al-Gailani-Werr a aussi mis en lumière le pouvoir fédérateur du patrimoine. Son interprétation du patrimoine, son dévouement et ses facultés de mobilisation des esprits et des savoir-faire de la société irakienne dans son ensemble ont permis de transcender la confessionnalisation politique et sociale. Ces actions de préservation ont ainsi pu replacer le patrimoine dans son rôle de référence culturelle et d’agent de production d’identité fédératrice.

De la même manière, en Syrie, les femmes sont à l’avant-garde de la préservation du patrimoine en péril. Depuis 2011, le patrimoine syrien est sujet à de profondes tensions du fait des conflits armés – un exemple paradigmatique étant la Grande Mosquée des Omeyyades à Damas – ou encore d’une volonté systématique d’épuration culturelle – la destruction de monuments antiques à Palmyre en 2017. Des femmes – archéologues, architectes, universitaires, écrivaines, artisanes – qui œuvraient déjà en faveur de la préservation du patrimoine avant 2011 deviennent de plus en plus visibles : en temps de conflit, la nécessité de la survie de tout un référentiel culturel vient asseoir la légitimité de l’engagement des femmes. Lina Qutifan, archéologue au sein du Département des antiquités et des musées syriens (DGAM), a été nommée à la tête de la Direction du patrimoine syrien au sein de DGAM en 2011 afin de documenter les dommages infligés au patrimoine sur l’ensemble du territoire. Le sens de son engagement découle du constat selon lequel « le patrimoine culturel fait naître un sentiment d’unité et d’appartenance qui traverse le peuple syrien dans son ensemble, et principalement lors de temps de crises » [14]. Qutifan est l’une des nombreuses femmes à jouer un rôle primordial et reconnu dans la préservation du patrimoine, principalement au niveau gouvernemental. 

Néanmoins, la présence des femmes sur le terrain dans le cadre d’activités de restauration ou encore de fouilles archéologiques reste sujette à une certaine stigmatisation sociale. Afin d’y remédier, et pour instruire et former les générations actuelles et futures, des femmes œuvrent à combler le déficit de programmes éducatifs relatifs à la préservation du patrimoine. A titre d’exemple, Lamia al-Gailani-Werr et sa fille Noorah al-Gailani, conservatrice de profession, ont mis en place des ateliers à l’intention des conservatrices et des conservateurs arabes afin de mieux protéger et de promouvoir le patrimoine culturel en Irak et en Syrie.

Au-delà du patrimoine en péril, les politiques publiques ont longtemps mis l’accent sur des priorités autres que la préservation du patrimoine. Par manque structurel de ressources, et dans le sillage d’une occidentalisation accélérée et d’un regard résolument tourné vers l’extérieur, la question de la préservation du patrimoine a longtemps été négligée dans les pays arabes. Les femmes ont repris le flambeau, là où la volonté politique faisait défaut. C’est, par exemple, le cas de l’architecte et chercheuse saoudienne Rana al-Kadi. Partant du constat que le patrimoine culturel de son pays, et surtout le patrimoine à caractère islamique, n’était pas suffisamment mis en valeur par les autorités dédiées, al-Kadi a décidé d’étudier la préservation et la conservation du patrimoine architectural à l’étranger. Elle dévoue désormais son temps à la préservation du patrimoine saoudien à travers des activités de recherche, de documentation et d’investigation, activités qu’elle qualifie de « devoir à sa société, à son pays, et au champ des études architecturales islamiques » [15]. Néanmoins, al-Kadi note un regain d’intérêt et de volonté politique pour les thèmes de la préservation et de la promotion du patrimoine au cours de ces dernières années. Les raisons sous-jacentes se situent à un niveau double : la prise de conscience de l’importance de préserver la mémoire collective d’une société en mutation ainsi que les opportunités touristiques que ce patrimoine riche représente. La société civile et les experts du patrimoine, au premier rang desquels les femmes, se mobilisent pour prendre part à ce mouvement de grande ampleur.

Conclusion

Le topos de la femme gardienne de la culture et de l’identité imprègne les représentations sociales en profondeur. Il sert notamment à légitimer le confinement de la femme à la sphère privée, domaine privilégié de la transmission de ces traditions. Comme nous l’avons vu, ces représentations s’étendent à tous les domaines, y compris à la sphère du patrimoine. Le problème qui se pose du fait de l’exclusion des femmes est double : les femmes ne jouissent pas pleinement de l’intégralité de leurs droits culturels et, en retour, ne peuvent exercer leur plein pouvoir de décision afin d’orienter les activités de préservation du patrimoine. Or le patrimoine n’est pas une donnée figée ; il est sujet à interprétation multiple, ce qui influe sur les choix de valorisation, et donc de préservation, de certains aspects du patrimoine. Il incarne aussi un référentiel culturel et identitaire qui, au lieu d’être fédérateur, devient de facto facteur de marginalisation. Exclure les femmes des prises de décision revient donc à ne pas prendre en compte pleinement l’ensemble des possibilités de valorisation et de préservation.

En parallèle de la mutation des cadres légaux concernant les droits des femmes ainsi que des politiques publiques qui mettent en valeur le patrimoine, les femmes deviennent de plus en plus visibles – et donc légitimes – sur la question du patrimoine, et notamment du patrimoine en péril. Pourtant, le portrait qui a été dressé de ces trois femmes engagées ne saurait cacher la réalité de l’exclusion des femmes au sein des professions culturelles : ces expertes du patrimoine, du fait de leur capital culturel, social et économique, ne sauraient être représentatives de toutes les femmes qui évoluent au sein de ces mêmes professions. Une plus grande contribution des femmes aux activités relatives au patrimoine ne peut être possible que sur la base de l’acceptation de leur légitimité au sein de métiers qualifiés dans l’espace public. Une meilleure inclusion repose aussi sur l’élargissement de l’offre d’enseignements de qualité ayant trait au patrimoine, un mouvement souvent porté par les femmes.

La notion centrale d’interprétation sexospécifique qui sous-tend la préservation du patrimoine nous invite, par ailleurs, à nous interroger sur l’ensemble des dynamiques qui influent sur les décisions impactant le patrimoine, et notamment l’approche institutionnelle majoritaire aux dépens de la vision de la société civile et des communautés marginalisées.


[1] Abdelaziz Thaalbi. La Tunisie Martyre. Ses Revendications. Paris : Jouve, 1920.

[2] UNESCO, « Qu’est-ce que le patrimoine culturel immatériel ? », https://ich.unesco.org/fr/qu-est-ce-que-le-patrimoine-culturel-immateriel-00003, consulté le 12 avril 2019. La définition exhaustive du patrimoine immatériel est la suivante : « les traditions orales, les arts du spectacle, les pratiques sociales, rituels et événements festifs, les connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers ou les connaissances et le savoir-faire nécessaires à l’artisanat traditionnel ».

[3] Plus spécifiquement, les monuments comprennent les œuvres architecturales, les sculptures ou les peintures monumentales, et les éléments à caractère archéologique, les ensembles incluent des groupes de constructions isolées ou réunies, et les sites comprennent des sites monumentaux et archéologiques construits par l’homme ou qui représentent des œuvres communes de l’homme et de la nature.

[4] UNESCO, Egalité des genres, patrimoine et créativité. Paris : UNESCO, 2014. https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000230304.

[5] Donald Malcolm Reid, “Cultural Imperialism and Nationalism: The Struggle to Define and Control the Heritage of Arab Art in Egypt”, International Journal of Middle East Studies, Vol. 24, n°1, 1992, pp. 57-76.

[6] Mirjam Brusius, “What is Preservation?”, Review of Middle East Studies, Vol. 51, n°2, 2017, pp. 177-182. 

[7] Fatima Mernissi. Le Harem et l’Occident. Paris : Albin Michel, 2001.

[8] UNESCO, Egalité des genres.

[9] Institut de statiques de l’UNESCO, « L’initiative UNESCO-Sabrina Ho pour les femmes dans les industries créatives numériques distingue 4 projets exceptionnels », 3 septembre 2018, https://fr.unesco.org/creativity/news/linitiative-unesco-sabrina-ho-pour-femmes-dans.

[10] UNESCO, Egalité des genres.

[11] Musée national du Bardo, “After the independence (1956)”, http://www.bardomuseum.tn/index.php?option=com_content&view=article&id=180&Itemid=93&lang=en, consulté le 30 avril 2019.

[12] Rana al-Kadi. Entretien avec l’auteure. 20 avril 2019.

[13] Hadani Ditmars, “’The Rose of Baghdad’: Lamia al-Gailani-Werr, defender of Iraq’s heritage”, Middle East Eye, 9 février 2019, https://www.middleeasteye.net/discover/rose-baghdad-lamia-al-gailani-werr-defender-iraqs-heritage ; The National, “Iraqi ‘treasure’ Lamia Al Gailani Werr dies in Amman”, 19 janvier 2019, https://www.thenational.ae/world/mena/iraqi-treasure-lamia-al-gailani-werr-dies-in-amman-1.815408.

[14] Florence Massena et Arwa al-Basha, “Women at the Forefront of Saving Syria’s Heritage”, Tahrir Institute for Middle East Policy, https://timep.org/syrias-women/media-arts-culture/forefront-of-saving-syrias-heritage/, consulté le 30 avril 2019.

[15] Rana al-Kadi. Entretien avec l’auteure. 20 avril 2019.

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