Le 05/04/19/ par Ilham YOUNES

Palmyre, Syrie

Les menaces aujourd’hui portées contre le patrimoine mondial se sont largement accrues notamment dans les zones de tensions. La recrudescence des conflits au Proche-Orient, depuis plusieurs années, a entraîné des catastrophes majeures. D’un point de vue humanitaire, non seulement, mais également sur le plan culturel. A titre d’exemple, selon un chiffre de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), depuis le début du conflit syrien en 2011, 5,6 millions de personnes ont fui la Syrie principalement dans les pays voisins.  A ces bilans humains dramatiques s’adjoignent des catastrophes culturelles sans précédent.  

Ainsi, au Liban, en Iraq, au Yémen ou encore en Syrie, on constate des destructions majeures pour certaines d’entre elles irréversibles. Des villes historiques en passant par des sites culturels, archéologiques ou religieux, en temps de guerre, le patrimoine reste une cible privilégiée en ce qu’il constitue un liant fort entre les communautés. Participer à sa destruction, c’est donc œuvrer au délitement des structures identitaires déjà en place. La disparation de sites pour certains millénaires constitue une perte immense non seulement pour les communautés mais également pour l’humanité toute entière. 

Etat des lieux

En effet, depuis plusieurs années et notamment avec le début du conflit syrien en mars 2011, les destructions et les pillages de sites archéologiques millénaires n’ont cessé de s’accroitre. A titre d’exemple, depuis 2011 et selon une évaluation de l’UNESCO, environ 25% des sites archéologiques syriens ont été pillés.

De nombreux sites en danger imminent ont par ailleurs été placés sur la liste du patrimoine mondial en péril. C’est le cas des suivants :

Irak 

Assour (Qal’at Cherqat) 2003

Ville archéologique de Samarra (2007)

Hatra (2015)

Libye 

Ancienne ville de Ghadamès (2016)

Site archéologique de Cyrène (2016)

Site archéologique de Leptis Magna

Site archéologique de Sabratha (2016)

Sites rupestres du Tadrart Acacus (2016)

Palestine

Terre des oliviers et des vignes- Paysage culturel du sud de Jérusalem, Battir (2014)

Vieille ville d’Hébron/ Al- Khalil (2017)

République arabe syrienne

Ancienne ville d’Alep (2013)

Ancienne ville de Bosra (2013)

Ancienne ville de Damas (2013)

Crac des Chevaliers et Qal’at Salah El-Din (2013)

Site de Palmyre (2013)

Villages antiques du Nord de la Syrie (2013)

Yémen

Ancienne ville de Shibam et son mur d’enceinte (2015)

Vieille ville de Sana‘a (2015)

Les sites inscrits sur la liste du patrimoine en péril jouissent grâce au fond du patrimoine mondial d’une assistance particulière. En effet, la portée de ces inscriptions n’est pas uniquement déclarative, elles peuvent alerter la communauté internationale de l’urgence d’une situation permettant en retour l’adoption de mesures correctives appropriées.

Pourtant, cette liste est de loin exhaustive, ainsi de nombreux sites en péril ne bénéficient pas d’une protection appropriée. Pour qu’un site soit inscrit et de facto protégé, il doit recouvrir une valeur universelle exceptionnelle et répondre à une série de critères. Ces propositions d’inscriptions sont ensuite soumises au Comité du patrimoine mondial, seul décisionnaire en la matière. Bien que son jugement porte sur des critères établis, on ne peut écarter la portée éminemment politique de ces décisions. C’est le cas notamment pour les sites dont la dimension politique est importante. A titre d’exemple, l’inscription sur la liste du patrimoine mondial en péril de la Vieille ville d’Hébron en Palestine avait suscitée des débats houleux entre les membres du Comité du patrimoine mondial entrainant son adoption in extremis en juillet 2017.

En effet, en temps de conflits et de crise, le patrimoine est souvent pris pour cible en étant l’objet de crispations et d’instrumentalisation. Parfois, c’est sa destruction qui est recherchée. Comment expliquer alors que le patrimoine culturel soit une cible privilégiée en temps de conflit?

Le patrimoine culturel, une cible privilégiée en temps de conflits ?

« Rien ne peut résister devant l’argument de la nécessité militaire », disait le général Eisenhower alors qu’il allait engager ses forces armées en 1943 pendant la campagne d’Italie. En effet, très souvent, en période de conflit, la protection du patrimoine culturel est secondaire. Il est parfois un dommage collatéral ou une cible intentionnelle, c’est le cas des actes de pillages à son encontre ou encore de l’épuration culturelle ou c’est la négation de l’autre par la destruction de son patrimoine qui est recherchée.

Le dommage collatéral 

En stratégie militaire, le dommage collatéral renvoie aux dégâts non-intentionnels humains ou matériels justifiés et proportionnels à la nécessité militaire. La destruction est alors justifiée par la nécessité militaire. La mosquée des Omeyyades à Damas en Syrie lourdement impactée par des tirs de mortiers constitue un exemple paradigmatique du dommage collatéral en temps de conflit armé. En effet, lorsque les combats éclatent, c’est l’urgence qui prime au détriment de la préservation des sites. Les sites sont utilisés et deviennent de véritables champs de batailles où s’échangent indifféremment tirs et bombardements.  Surexposés, ces sites deviennent alors des lieux privilégiés où s’exercent le pillage et le commerce illicite de biens culturels.

Le trafic illicite des biens culturels

Ce trafic implique aussi bien des fouilles illégales, le pillage au sein de musées, d’espaces culturels, de bibliothèques ou encore de galeries. La fréquence de ces actes de vandalisme en temps de conflit armé est d’autant plus forte que l’appât du gain est important. En effet, le commerce illicite de biens culturels est une entreprise très lucrative pour ceux qui l’exercent contribuant ainsi à financer des organisations terroristes. En dépit des protections prévues par les conventions internationales et des efforts opérés par les acteurs internationaux (douanes, musées et ventes aux enchères), le trafic d’antiquité ne cesse de prospérer dans la zone du Proche-Orient.

L’épuration culturelle

Lorsque cette volonté de détruire est intentionnelle et ciblée, on parle alors d’épuration culturelle. Ce paradigme idéologique induit une négation de l’identité de l’adversaire par la destruction systématique de son patrimoine. Les pillages et les destructions exercés sur le site antique de Palmyre en Syrie illustre un cas d’épuration culturelle poussée à son paroxysme. Détruire devient alors inévitable pour faire table rase du passé et imposer les fondements d’un nouveau paradigme, en l’occurrence l’idéologie prônée par le groupe Etat islamique qui proscrit toute forme d’idolâtrie fût-ce-t-elle antique (donc préislamique). Ces actes considérés comme crimes de guerre, depuis la destruction en 2012 à Tombouctou au Mali de mausolées musulmans par plusieurs groupes terroristes maliens, laissent des empreintes psychologiques indélébiles sur les populations. Le patrimoine ayant un rôle majeur dans les mémoires collectives et leurs transmissions aux générations, sa disparation signifiant une perte identitaire majeure. Un liant pourtant indispensable à la reconstruction des sociétés en période de post-conflit.

Conclusion

Face à la recrudescence de ces atteintes au patrimoine, les mobilisations internationales se sont largement accrues. Ces attaques à plus grande échelle et toujours à l’œuvre aujourd’hui conduisent à s’interroger sur une thématique centrale celle de la reconstruction et de son intérêt. Cette question interroge plus profondément le sens et l’impact que peut revêtir la destruction du patrimoine pour les communautés locales en jeu. En effet, d’un point de vue identitaire, le patrimoine pouvant constituer un profond liant entre communautés. On peut citer l’exemple paradigmatique de la reconstruction du pont de Mostar en Bosnie Herzégovine en tant que symbole fort de réconciliation et d’unité entre les peuples. Nonobstant cette réalité et face au défi protéiforme et éminemment complexe de la reconstruction, de nombreux chercheurs s’interrogent quant à l’intérêt de la reconstruction matérielle en tant que telle. Cette réflexion amène à s’interroger sur l’existence d’autres formes alternatives favorisant la perpétuation de la mémoire des sites. C’est le cas notamment des nouvelles technologies de modélisations et impressions en 3 D.


Pour aller plus loin :

http://whc.unesco.org/fr/apropos

http://whc.unesco.org/fr/conventiontexte

https://fr.unesco.org/courier/2017-octobre-decembre/resolution-historique

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