24 octobre 2025
Le pari de la douceur
A la MENART FAIR édition 2025
Dans une époque frappée par la violence et la loi du plus fort, il paraît secondaire d’évoquer la douceur perçue à tort comme fragile et secondaire. Pourtant, la douceur n’est ni mièvrerie ni faiblesse, elle est au contraire force de vie, puissance et ouverture.
La douceur s’élève contre la passion, selon la philosophe et psychanalyste Anne Dufourmantelle, et : ”au jeu de miroirs narcissiques qu’elle engage”*. Elle est l’opposé de l’hybris traduit par les grecs comme la démesure humaine.
Elle est la compréhension même de notre humble place dans un monde vaste, connecté où l’homme n’a qu’une place infime. Elle est une invitation à penser un rapport plus harmonieux envers les autres, le monde mais aussi la nature.
“La douceur est invincible” disait l’empereur stoïcien Marc-Aurèle, elle implique l’écoute, le respect et la compassion, véritable gageure dans une société marquée par l’instantanéité, la force et le règne de l’ego. Or, la douceur et le silence, qu’elle peut générer parfois, peuvent être bien plus puissants que la recherche du vacarme incessant, étourdissant et assourdissant qui épuisent et fragilisent nos liens sociaux.
S’abstenir, écouter, être en compassion, faire preuve de douceur n’est ni impuissance ni fadeur, c’est précisément être en présence au monde, dans l’action et renoncer par là même à “ être vainqueur” coûte que coûte face à l’autre.
Par son mouvement de force sans limites, la douceur peut aussi être une réserve puissante et non-violente à l’oppression psychique et politique.
C’est précisément ce que la MENART cherche à interroger à l’occasion de sa foire internationale qui présente chaque année les artistes du Moyen-Orient et d’Afrique du nord (MENA) à Paris. La région regorge, en effet, d’artistes qui font le pari de la douceur en dépit des dures réalités politiques de terrain. Le champ artistique moderne et contemporain du MENA nous donne des exemples pertinents de la force de la douceur et du renoncement au bruit comme catalyseur de créativité et d’invention.
Etel Adnan (1925-2021) artiste, poète et essayiste libano-américaine nous livre un message fort en ce sens: “ « Il y a une douceur à l’existence, un dire renouvelé, des ombres qui apportent du repos, l’atténuation des angles, la pousse des plantes”. A travers, sa peinture aux contours délicats, sa palette de couleurs douces : véritable champ d’expression de la vie, Etel choisit la douceur, la lumière et la grâce : “ La peinture est pour moi le champ de la contemplation, de la recherche du miraculeux ; c’est ma distance avec le monde, qui me permet de l’aimer”*.
L’œuvre de l’artiste algérienne Baya (1931-1998), s’inscrit dans cette veine : “ Je peins ce que je sens”. Souvent qualifié à tort de naïf, son art frappe par sa sincérité, sa densité et sa singularité. En dépit d’une enfance difficile marquée par la pauvreté, l’artiste capture avec douceur et simplicité la beauté du quotidien, des femmes et de la nature : “ « Il y a des gens qui trouvent trop gai ce que je fais. – Pourquoi pas des choses tristes ? me demandent-ils. Pourtant, quand j’étais petite, j’étais toujours triste. J’ai perdu mes parents à l’âge de cinq ans. Et cela ne se voit pas dans mes peintures. – Pourquoi les oiseaux ? me dit-on. Eh bien, j’aime les oiseaux. – Pourquoi les papillons ? Eh bien, parce que j’aime les papillons. Pour tout cela, je ne donne pas de thème. Je le ressens et je le mets sur le papier”*.
En utilisant la douceur comme énergie créatrice, les artistes nous invitent à célébrer cette qualité oubliée en lui redonnant une place première et en la magnifiant à travers leur art.
Ilham Younes-Delepaut
Communiqué de presse – OPOM