Tipasa de Maurétanie : spectacle perpétuel du métissage civilisationnel de la Méditerranée
Par Amel Aït-Hamouda
L’Observatoire Patrimoine d’Orient accoste sur la rive sud de la Méditerranée dans la commune algérienne de Tipaza, à l’ouest d’Alger, pour vous emmener à la découverte d’un site archéologique exceptionnel où « le monde est beau, et hors de lui point de salut. »
S’ouvrant sur un spectacle infini entre ciel, terre et mer, le site de Tipasa de Maurétanie mêle différentes civilisations traversées par la Méditerranée. Avec son ensemble unique de vestiges phéniciens, romains, paléochrétiens, byzantins et embrassant la civilisation numide à travers le Mausolée royal de Maurétanie, le lieu a donné naissance à plusieurs joyeux archéologiques.
Et c’est au sein de ces incontournables monuments que nous vous y proposons de déambuler afin de retrouver l’histoire de Tipasa où les siècles semblent suspendus.
UNE VILLE ANTIQUE RICHE
Ensevelie durant des siècles sous un drap de sédiments, Tipasa de Maurétanie fut redécouverte au XIXe siècle. Ses vestiges dévoilés livrent, au fur et à mesure, son passé glorieux. Né comptoir carthaginois au Ve siècle av. J.-C., son premier rôle fut d’être une escale maritime. Situé entre l’Orient et l’Occident, le nom Tipasa signifierait ainsi « passage » en phénicien. Le lieu prospéra jusqu’à atteindre son apogée sous l’Empire romain au point d’être élevé au rang d’une colonie romaine.
Au cours du IIIe et du IVe siècle, un essor chrétien exceptionnel s’exprime par de nouveau monuments religieux riches de par leurs ornements en mosaïques qui illustrent des scènes de vie quotidienne et religieuses. Lors de l’invasion vandale en l’an 430, la cité perdra tout son prestige jusqu’à sombrer dans l’oubli. Tel un phénix qui renaît de ses cendres, Tipasa de Maurétanie sera reconquise par les Byzantins en l’an 531 et son économie reprendra de l’essor. Au cours du XXe siècle, l’archéologie et la littérature feront resurgir Tipasa. C’est à travers le majestueux essai Noces à Tipasa d’Albert Camus (1913-1960) que les lieux écloront en une ode à la nature pour célébrer « les noces de l’homme avec le monde ».
À l’instar des villes romaines, Tipasa de Maurétanie est traversée par deux grandes voies principales : le decumanus maximus et le cardo. La première consiste en un prolongement de la route qui reliait Icosium à Césarée ; la seconde en une inclinaison vers la mer sous la forme d’une voie perpendiculaire orientée Nord-Sud. Tipasa abrite en son sein deux parties : l’une, en dehors des murs, à l’est de la grande nécropole implantée sur la colline de Salsa, qui accueille la basilique de la sainte Salsa, et l’autre, depuis le parc archéologique, qui dénombre différents monuments tels que l’amphithéâtre, les deux temples, la basilique judiciaire, le forum, la villa des fresques ou encore le nymphée. Afin de couronner ce décor pluri-civilisationnel, une stèle fut érigée, en 1961, à la mémoire d’Albert Camus par ses amis à l’extrémité du parc archéologique.
LA VILLE ANTIQUE ET SES PRINCIPAUX ÉDIFICES
La Basilique de Sainte Salsa
La basilique Sainte-Salsa est chrétienne, mais à chaque fois qu’on regarde par une ouverture, c’est la mélodie du monde qui parvient jusqu’à nous : coteaux plantés de pins et de cyprès, ou bien la mer qui roule ses chiens blancs à une vingtaine de mètres. Albert Camus, Noces
Albert Camus, Noces
À 300 mètres des remparts se dresse, au sommet de la colline, l’envoûtante basilique de sainte Salsa. Lors de la première moitié du vie siècle, le lieu atteignit 30 mètres de long. À l’intérieur, l’église rectangulaire est formée d’une nef centrale de 7,50 mètres de large. On trouve une tombe surmontée par un cippe de forme semi cylindrique appartenant à Fabia Salsa, une matrone qui serait l’une des ancêtres de la sainte. Sur le sol, devant la tombe, une inscription trouvée en langue latine en hommage à la sainte se traduit comme suit : « Dans ce lieu où brille le saint autel repose la martyre Salsa, toujours plus douce que le nectar qui a mérité d’habiter au ciel, en plein béatitude. »
Les bas-côtés collatéraux sont surmontés de tribunes dont les escaliers existent toujours. Au nord, une petite porte ouverte dans le mur mène à l’area martyrum, le « cimetière des martyrs ». Subsiste, près de la basilique, un baptistère surmonté d’une terrasse et orné d’un bassin en pierre entourée de cinq colonnes.
L’amphithéâtre
Construit tardivement au IIIe siècle à l’emplacement d’une ancienne nécropole, l’amphithéâtre est le premier monument ouvrant le bal du parc archéologique. Dédié aux spectacles de gladiateurs, un grand mur bordait l’arène afin de protéger les spectateurs lors des représentations de lions. L’amphithéâtre comptait deux portes principales et trois portes secondaires. À l’extrémité du petit axe se trouvait un sacellum, pour l’adoration des divinités romaines.
Actuellement, seule la partie nord du monument est dégagée, ce qui laisse apparaître les gradins détruits, les hauts murs limitant l’arène, les deux portes est et ouest ainsi qu’un petit columbarium pour les gladiateurs morts dans l’arène.
Les deux temples
Sur les lieux, les archéologues ont trouvé la jambe d’une statue de divinité dont l’identité sauvegarde précieusement son mystère. Le lieu prit alors le nom de « temple anonyme ».
On y entrait auparavant par trois portes qui s’ouvraient sur la place engendrée par un élargissement du decumanus maximus. La cour était également décorée d’un triple portique. Le temps a su préserver le podium ainsi qu’une partie de l’escalier d’accès menant à la cella.
Le nouveau temple
Daté de la fin du IIe siècle ap. J.-C. et en meilleur état de conservation que son voisin, le nouveau temple est également constitué d’un podium et d’une cour bordée d’un portique et présente le même agencement en ce qui concerne l’entrée, la cour, le portique et la cella.
La basilique judiciaire
En contrebas, au-delà du cryptoportique (galerie couverte) se trouvait la basilique judiciaire. De construction hellénistique et datée de la fin du Ier siècle de notre ère, l’édifice comprend trois nefs séparées par deux rangées de colonnes.
Outre son rôle de faire régner la justice, la basilique judiciaire animait la vie économique de la cité. Dégagée au début du XXe siècle, on y retrouva la mosaïque des captifs représentant des hommes accroupis et prostrés.
POUR ALLER PLUS LOIN
- BARADEZ, Jean, 1952, Tipasa. Ville antique de Maurétanie, Alger, Direction de l’Intérieur et des Beaux-Arts.
- BOUCHENAKI, Mounir, 1988, Tipasa. Site du Patrimoine mondial, Alger, ENAG/éditions.
- DUVAL, Pierre-Marie, 1946, Cherchel et Tipasa. Recherches sur deux villes fortes de l’Afrique romaine, Paris, Geuthner.
- GSELL, Stéphane, 1926, Promenades archéologiques aux environs d’Alger, Paris, Les Belles-Lettres.