Le 15/07/2020 par Omar Babakhouya, chercheur associé

Tradition préservée depuis le XIIIè siècle, la cérémonie du Semâ est partie intégrante de la pratique religieuse des Mevlevi, parfois appelés derviches tourneurs. Mondialement connu, le Semâ est inscrit par l’UNESCO sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité depuis 2008. Lors de son exécution, la cérémonie revêt de nombreuses significations spirituelles au cœur de l’ordre des Mevlevi. 

Une cérémonie spirituelle symbolique

La cérémonie du Semâ est motivée par une dimension spirituelle originelle et suit une exécution rigoureuse dans un espace dédié en forme de cercle. Les derviches tourneurs entrent dans la salle de prière en suivant un ordre particulier. Ce sont d’abord les derviches qui font leur apparition, coiffés d’une haute toque de feutre symbolisant la pierre tombale, et portant un habit blanc signifiant la renaissance recouvert par un manteau noir qui représente la vie terrestre. Ensuite, le Maître, pour signifier la pureté de son âme et donner un exemple d’humilité, fait son entrée derrière ses disciples et s’installe sur un tapis rouge. Assis en cercle, les derviches attendent le signal du Maître pour débuter la cérémonie. 

Tournoiement Derviches

Ainsi, les disciples se lèvent et entament lentement trois tours de la piste. Une fois à l’arrêt, les derviches font dès lors tomber leurs manteaux noirs pour laisser briller leurs habits blancs, symboles de leur résurrection. Progressivement, ils se mettent à tourner sur eux-mêmes : le pied gauche leur sert d’appui et le pied droit à faire pivoter le corps. Le moindre mouvement est chargé de signification spirituelle. C’est en ce sens que la main droite, tournée vers le ciel, reçoit la grâce divine pour la répandre sur terre par la main gauche, tournée vers le bas. Enfin, le Maître reprend le mouvement lorsque les derviches s’arrêtent avant de clore la cérémonie. Transmis de génération en génération, le Semâ se répand au XIIIè dans le sillage de la fondation de l’ordre des Mevlevi. 

Aujourd’hui, les Mevlevi sont présents principalement en Turquie, puis en Syrie et en Egypte. Bien que la cérémonie du Semâ soit célèbre pour les prestations réservées aux touristes, l’ordre et différents groupes privés veillent à conserver la dimension spirituelle et intime de cette tradition. Les derviches tourneurs continuent d’apprendre les codes de conduite, les règles morales et le savoir-faire de l’ordre au sein de lieux dédiés (mevlevihane). Durant un séjour de 1001 jours rythmé par les prières, les disciples acquièrent les qualités nécessaires pour la bonne exécution de la cérémonie notamment la capacité de concentration. La musique, qui accompagne toujours la cérémonie, est un élément important de cette initiation. Durant le Semâ, une musique (ayın) jouée par un chanteur, un flûtiste, un joueur de timbale et un joueur de cymbales, guide les mouvements des derviches tourneurs dans leur quête spirituelle. 

Une tradition soufie ancienne de huit siècles

Fondé en 1273 dans la ville de Konya (centre de la Turquie), l’ordre des Mevlevi s’organise autour des enseignements de l’érudit persan Jalal Din Rumi. Né à Balkh (actuel Afghanistan), il voyage à Bagdad, La Mecque et Damas avant de s’installer durablement à Konya ( actuelle Turquie), sous protection des sultans seldjoukides. Connu pour ses écrits, il consacre douze années à la composition des six volumes de sa grande œuvre, le Mathnawi, largement traduit et diffusé dans le monde. Aujourd’hui, il repose près de son père, à Konya, dans un splendide mausolée situé dans le jardin offert par le roi seljoukide Kai-Qubad I. En 2007, lors du 800ème anniversaire de sa naissance, l’UNESCO, sur proposition de l’Egypte et de l’Afghanistan, remet une médaille « à l’un des plus grands humanistes » de l’histoire. 

Musée Mevlana, Konya, Turquie

Durant l’époque ottomane, l’ordre des Mevlevi continue de s’étendre à travers les provinces de l’Empire, dans les Balkans et le Moyen-Orient. Mais à la suite de la fondation de la République turque en 1923 et la vague de sécularisation de la société, l’Etat décrète la fermeture des écoles de Mevlevi. Ces dernières retrouvent progressivement leur liberté d’organiser des Semâ, complètement acquise dans les années 1990. Aujourd’hui, la cérémonie du Semâ constitue un élément majeur du patrimoine immatériel en Turquie et au-delà, une valeur historique reconnue par la communauté internationale. 


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