23/03/2021 par Omar Babakhouya

Il est des paysages qui nous font voyager à travers le temps et l’espace, et par la même occasion nous font (re)découvrir un mode de vie et un style architectural autrefois répandu. C’est le cas de la petite cité d’Aït Ben-Haddou, située dans la province de Ouarzazate dans le Sud marocain, construction qui a traversé les âges jusqu’au XXIe siècle. Le lieu est aujourd’hui classé sur la Liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1987, évènement qui a largement contribué à la fois à la renommée du site et sa conservation.

Un musée à ciel ouvert

© Yvon Fruneau

Véritable musée à ciel ouvert, le ksar d’Aït Ben-Haddou est entouré de murailles renforcées et de tours d’angle dont la position surélevée sert de point de surveillance de l’environnement extérieur, potentiellement hostile à l’époque. A l’intérieur, le site est constitué de maisons construites essentiellement de terre, faisant office de foyers familiaux au sein du ksar. Les espaces présents au sein du ksar sont à la fois privés (maisons plus ou moins grandes selon le statut social) et des espaces publics constitués essentiellement de la mosquée, des aires de battage (situées à l’extérieur des murailles) et d’une place publique utilisée pour les fêtes collectives et vers laquelle convergent de nombreuses ruelles.

Situé sur les flancs d’une colline, au sud-est du Maroc, le ksar d’Aït Ben-Haddou est le monument régional le plus connu et dont l’image est la plus répandue à travers le pays. Elevé sur une hauteur dans les contreforts de l’Atlas, le ksar est dominé par un grand grenier collectif qui demeure au sommet de l’édifice à près de 1300m d’altitude. Derrière la colline repose le Mausolée de Ben-Haddou, fondateur du site éponyme. Les nombreuses constructions du lieu sont ornées de décorations, façonnées directement dans les murs ou obtenues grâce à un assemblage savant de briques. 

Illustration de l’habitat en terre de la culture sud marocaine, le ksar d’Aït Ben-Haddou bénéficie d’une véritable politique de conservation. Néanmoins, le site est devenu vulnérable sous l’effet de mutations socio-économiques et culturelles irréversibles

Une construction à l’épreuve du temps

Pour mieux cerner la naissance de ksar d’Aît Ben-Haddou, il est nécessaire de s’arrêter sur le sens du mot ksar en langue arabe. Si le mot « qasr » en arabe littéraire signifie « château », son usage au fil du temps s’est généralisé pour désigner également de petits villages fortifiés, dont l’architecture d’inspiration berbère est répandue dans la région. Le ksarest aujourd’hui le témoin du type d’habitat présaharien commun aux populations d’Afrique du Nord, de la Mauritanie à la Libye. Les plus anciennes constructions du site observées aujourd’hui ne paraissent pas antérieures au XVIIe siècle, bien que leur structure et les techniques employées à leur construction se soient propagées dès une époque très reculée dans les vallées du Sud marocain. Selon la tradition locale, le ksar d’Aït Ben-Haddou aurait été l’un des nombreux comptoirs sur la route commerciale qui liait l’ancien Soudan (Gao, Tombouctou, Djenné…) à Marrakech par la vallée du Dra et le col de Tizi-n’Telouet. Le site tient son nom du premier gouverneur du lieu, Amghar Ben-Haddou, qui y a vécu à l’époque des Almoravides (XIe siècle). Par la suite, le site qui a pris le nom de son fondateur s’est développé en nouant des liens privilégiés avec les sultans alawites. Sa population locale était principalement constituée de communautés berbères et juives, comme en attestent les deux cimetières présents encore aujourd’hui.

Un effort de conservation à poursuivre

Illustration de l’habitat en terre de la culture sud marocaine, le ksar d’Aït Ben-Haddou bénéficie d’une véritable politique de conservation. Néanmoins, le site est devenu vulnérable sous l’effet de mutations socio-économiques et culturelles irréversibles. D’une part, et en comparaison aux autres « ksour » (pluriel de ksar) de la région, l’action de l’UNESCO va dans le sens du maintien de l’authenticité architecturale du lieu, tant au niveau des formes que des matériaux utilisés pour sa construction. Il est à noter également que de nombreux acteurs, notamment au niveau local, se mobilisent pour préserver l’authenticité du site (Commune rurale, Division de l’Urbanisme, Agence Urbaine, CERKAS : Centre de restauration et de réhabilitation des zones atlasiques et sub-atlasique). En ce sens, le premier plan de gestion du site a été lancé par l’ancien ministre de la Culture du Royaume du Maroc, M. Mohamed Achaari, pour la période 2007-2012.

Paradoxe ultime pour ce type de patrimoine : la célébrité induit une introduction sur le devant de la scène, favorisant une prise en charge de sa conservation par les pouvoirs publics, de même qu’elle favorise une fréquentation croissante du site, potentielle source de dégradation.

Il est indéniable que les plans de gestion ont contribué à la revitalisation du site par la réalisation de projets réalistes et nécessaires pour les habitants du ksar (pont, adduction d’eau potable, électricité, assainissement, parking, etc.), de même qu’ils ont favorisé la conservation des valeurs architecturales par la création, en premier lieu, d’une antenne du CERKAS au village. Néanmoins, et à la faveur des mutations socio-économiques et culturelles de la région, le ksar d’Aït Ben-Haddou fait face à de nombreux risques de dégradation. Les bâtiments en terre sont rendus très vulnérables en raison du manque d’entretien du fait de l’abandon du ksar par ses habitants. Le CERKAS veille, a contrario des nombreuses velléités d’introduction de nouveaux matériaux de construction et de l’augmentation de la fréquentation du site, au respect de l’intégrité visuelle du bien. Aussi une attention particulière est-elle portée aux portes et fenêtres donnant sur les ruelles, pour garantir que le métal ne remplace pas le bois.

Enfin, la renommée du ksar d’Aït Ben-Haddou a été catalysée par l’intérêt qu’il suscite auprès du monde du cinéma grâce à son architecture authentique. Ainsi, de nombreux réalisateurs ont projeté leurs caméras sur la sublime beauté du ksar, notamment pour les films The Gladiator, Lawrence d’Arabie et Jésus de Nazareth. Paradoxe ultime pour ce type de patrimoine : la célébrité induit une introduction sur le devant de la scène, favorisant une prise en charge de sa conservation par les pouvoirs publics, de même qu’elle favorise une fréquentation croissante du site, potentielle source de dégradation. Un équilibre est à trouver en ce sens. Un pari relativement réussi, pour l’heure, afin de préserver cet héritage historique symbolique de l’Afrique du Nord présaharienne.


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