Kinan Tafish, un tisserand d’art sans frontière

Kinan Tafish, un tisserand d’art sans frontière

Le 12/03/2020 par Mathilde Barthes

Né à Damas, Kinan Tafish est fils, petit-fils et arrière-petit-fils de tisserands. Aussi ses souvenirs d’enfance sont des souvenirs de jeux devant la boutique de son grand-père, alors que celui-ci tissait devant un petit public. Un sourire fier aux lèvres, Kinan explique la fascination qu’il développa à cette époque pour l’activité de ce grand-père dont le travail, très admiré par-delà les limites de la ville, attirait les foules : « Sa boutique avait une véritable aura, j’étais très curieux de tout ça ».

À l’âge de 15 ans, le jeune Kinan se met à tisser quelques heures par jour et devient l’apprenti de son grand-père. Poussé à faire des études supérieures, il entrera à l’Université tout en continuant à tisser. Très vite, il quittera les bancs de la faculté, choisissant résolument de prendre la relève de l’héritage familial.

À partir de 2004, il installe son propre atelier à Damas et vit de ses créations. Mais la révolution syrienne qui débute en 2011 va compliquer bien des choses. En 2014, il s’exile en France et décide de s’installer à Pézenas (ville d’artisanat d’art du sud de la France).

Séduit par l’accueil des artisans piscénois et l’authenticité de leurs échoppes médiévales, il obtient une échoppe en plein cœur du centre historique de la Ville, au sein de l’Hôtel particulier des Barons Lacoste construit en 1509.

Avec lui, il emportera un métier à tisser Jacquard datant de 1804. Placée au cœur de son atelier, cette machine a une histoire particulière que le tisserand se plaît à partager avec ses visiteurs. En effet, au travers de l’histoire de ce métier à tisser mécanique, Kinan Tafish raconte les échanges qui avaient lieu autrefois entre la Syrie, haut-lieu de la route de la soie, et les grandes villes européennes. Ce métier centenaire, c’est avant tout un héritage familial puisqu’il fut acheté par son aïeul vers 1850 à Lyon après les révoltes des canuts lyonnais.

Travailler sur un métier à tisser Jacquard est un vrai travail de patience. D’abord, il faut installer les cartes perforées qui vont dessiner le motif voulu puis installer la « chaîne », c’est-à-dire la trame de fils : ce qui revient à enfiler 6 000 fils dans 6 000 aiguilles. Quant au temps de tissage en lui-même, le tisserand parvient en moyenne à tisser 50 cm de tissu par jour (8 heures de travail en moyenne), mais les durées peuvent s’allonger en fonction des couleurs ajoutées.

Passionné, Kinan Tafish explique son affection pour le motif brocart, très ancien, mêlant fils de soie naturelle et fils dorés ou argentés, et la diversité de ses dessins qui est liée à l’histoire culturelle de chaque pays créateur de tissu de soie. Parmi les plus répandus sur les étoffes syriennes, on retrouve les motifs suivants : le motif « oiseaux de paradis » ou « oiseaux d’amour » qui est tiré de l’imaginaire des mille et une nuits, le motif « Saladin » qui est un motif guerrier, le motif « Jasmin »  ou encore le motif « Rose de Damas».

Si le tissu brocart ne se vend plus beaucoup aujourd’hui, « passé de mode » selon le tisserand, il continue à tisser ces motifs traditionnels pour le plaisir et pour continuer à « perpétuer le geste et ce, même si cela ne se vend que très peu ». Aussi, dans son atelier, Kinan Tafish propose d’autres étoffes et tapis qu’il importe de Syrie ; des étoffes avec des motifs plus actuels et avec des mélanges de matières appréciés (soie naturelle et cachemire, fils de coton…).

En bon commerçant, il s’adapte donc à sa clientèle mais n’en oublie pas ce qui l’anime : l’amour du geste traditionnel et de la soie. C’est pour cette raison, qu’il refuse de vendre en ligne ses tissus. Il considère que le choix d’une pièce de soie passe par le toucher :  « le sentiment, le ressenti de la soie est très particulier, ça ne peut pas convenir à tout le monde, il faut sentir ».

Ainsi, pour se procurer une pièce de soie tissée selon la tradition, il faut se rendre dans son atelier-boutique que Kinan Tafish appelle « son palais ». Tombé amoureux de son échoppe, le tisserand qui n’aspire qu’à une vie paisible de tisserand, dit : « C’est ma vie ici, je n’aime pas partir d’ici, aller sur les routes à courir après les clients ou voyager, je préfère rester là et tisser ».

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